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Zorah sur la terrasse
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Né à Oran en 1948, l’écrivain et journaliste Abdelkader Djemaï s’installe en France en 1993. Avec Zorah sur la Terrasse, il ravive l’expérience vécue par Henri Matisse lors de son  séjour à Tanger.

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[ Cher Monsieur Matisse,
J’ai voulu vous parler et vous écrire parce que j’aime votre peinture et que mon grand-père paternel vous ressemblait physiquement.  Il se prénommait Miloud et avait la même corpulence que la vôtre. J’ai vu l’une de vos photos  en noir et blanc où vous êtes debout sur les plages de Tanger (…) Ce jour-là, vous portiez un turban et une djellaba pareille à la sienne.
] P 11


Le ton est donné dès les premières lignes de cet ouvrage. Abdelkader Djemaï ouvre ainsi la longue lettre qu’il adresse au peintre. L’observation de la vie tangéroise de Matisse va déclencher  une plongée dans sa propre enfance en Algérie: [ En voyant votre vieille malle derrière vous sur la photo de la chambre 35, j’ai pensé au vieux coffre en bois peint et clouté de cuivre de grand-mère. Sous son couvercle rebondi, elle gardait les trousseaux de mes tantes avec leurs chaussures brodées, leur sarouals de velours, leurs larges ceintures et leurs robes en lamé (…) ma mère glissait, elle, ses maigres bijoux sous son linge, dans le fond obscur de l’armoire en aggloméré  et aux poignées en métal doré. Lorsque nous manquions d’argent, elle l’ouvrait pour retirer un louis ou deux de son collier ou sortait sa paire de bracelets qu’elle avait reçus en dot. Elle les  serrait dans un mouchoir qu’elle enfouissait entre ses seins puis nous allions au centre-ville les déposer au mont-de-piété de la rue Ozanam.] P 31

Le peintre coloriste vient d’avoir 42 ans lorsqu’il débarque à Tanger avec son épouse Amélie. En janvier 1912, Matisse est déjà  un artiste confirmé,  il est conscient de ce qu’il est venu chercher en ces terres marocaines, là où mer Méditerranée et océan Atlantique s’épousent. Il sait que la palette de lumières, de couleurs, de paysages sera source d’émotions nouvelles. Il attend que ces gens si différents, bousculent ses propres certitudes et déclenchent  chez lui de nouvelles perspectives dans sa quête d’artiste.

Tanger est alors une petite ville [ La ville est petite comme votre chambre 35 où l’odeur forte de térébenthine et d’huile de lin imprègne vos draps. On peut en faire le tour assez vite. ] P 46. Sa population est inférieure à 50 000 habitants, constituée pour moins de la moitié de Marocains. L’autre étant composée principalement de Juifs et d’Espagnols de condition modeste. Tanger est déjà particulièrement cosmopolite: s’y juxtapose une multitude d’identités avec, comme sous d’autres cieux méditerranéens, la présence de vacanciers fortunés et d’intellectuels. [ Vous croisez des officiers de marine dans de jolis uniformes, des voitures rutilantes, des fiacres avec des chevaux à pompons, des courtiers endimanchés, des gouvernantes anglaises et de richissimes Américaines descendues des luxueuses demeures nichés dans les collines.  Vous qui êtes plutôt un homme discret et pas bavard, vous n’avez pas choisi de venir ici (…) pour vous déguiser en touriste ébahi ou ensommeillé, capricieux ou blasé. Ce qui vous importe, ce sont les gens de ce pays que vous respectez. Votre matériel sous le bras, vous partez alors à la recherche de lieux, de vestiges, de visages, d’atmosphères, de vêtements, de parfums, de sons qui pourraient vous aider à peindre. ] P 47

Le livre d’Abdelkader Djemaï rend compte de l’amour que va entretenir Matisse pour ce pays et particulièrement cette ville dont il va explorer la kasba, le souk, les jardins, les collines et jusqu’aux alentours pourtant difficiles d'accès. [ Vous voulez, bien sûr, mieux connaître la région. A dos de mulet et avec Amélie, vous vous rendez , en traversant « une mer de fleur «  et un « champ d’herbes pur, virginal », à Tétouan. Vous passez trois jours dans cette ville arabo-andalouse distante de soixante kilomètres de Tanger (…) Comme à Tanger, plusieurs langues bourdonnent autour de vous : l’arabe dialectal, le berbère, l’hébreu, le français, l’anglais, l’italien et celle du pays de Velasquez qui a donné son nom à une artère de la ville du détroit. ] P 74

Au-delà de l’expérience humaine vécue par Matisse, Abdelkader Djemaï s’emploie à nous narrer la quête créatrice de l’artiste débouchant sur  ses réalisations marocaines. Il nous invite à déambuler parmi les diverses toiles tangéroises*. « Zohra sur la terrasse » est celle qui donne le titre à l’ouvrage. Elle sert bientôt de fil conducteur à Djemaï et lui permet de s’intéresser à la rencontre de Matisse avec la très jeune fille qui, du fait de l’interdit qui pèse en terre d’Islam touchant à la représentation des êtres, devint l’un de ses seuls modèles. [ Vous avez bien fini par rencontrer Zorah et vous insistez pour qu’elle pose pour vous, elle ne parle pas français mais vous avez tout de suite compris qu’elle vous a dit « non ». Elle a dû vous répondre avec une voix calme et en rougissant un peu, car je la crois timide et bien élevée. ] P 65

 

Zohra sur la terrasse raconte le séjour du peintre à Tanger, ma ville natale. Plus tard Matisse vivra jusqu’à sa disparition, le 3 novembre 1954, à Nice. Ma ville d’adoption compte autant de collines. L'une d'elles, Cimiez, abrite un beau musée dédié à l'artiste… Mais, évidemment, ce ne sont pas là les seules raisons qui expliquent mon coup de cœur pour le bel ouvrage d’Abdelkader Djemaï.

 

 

*Abdelkader Djemaï cite, à la fin du livre, tous les musées internationaux où sont exposées les œuvres marocaines de Matisse.


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