Fabrice Luchini au 7ème ciel avec Les femmes du 6ème étage

Une fois de plus, un film français choisit un bel immeuble parisien* comme décor pour y raconter une jolie et chaleureuse histoire. Avec ces femmes du 6ème étage, c’est un regard profondément humain que Philippe le Guay porte sur l’Autre, venu d’ailleurs.
Dans l’immeuble, se met en scène la rencontre inattendue entre deux univers, celui, plein de rigueur du couple de la grande bourgeoisie de Paris qui loge au deuxième et celui simple et fantasque que s’est composé, au 6ème , un groupe de bonnes espagnoles, récemment arrivées de leur Espagne natale.
Le couple du deuxième : Monsieur et Madame Joubert
Paris 1962. La France est engagée dans la prospérité des Trente Glorieuses. L’époque est aux profits faciles des années de croissance économique. Jean-Louis Joubert (Fabrice Lucchini), la petite cinquantaine alerte, est un agent de change qui n’a aucun mal à gérer le patrimoine de ses riches clients. Madame et Monsieur habitent un bel immeuble haussmannien d’un des quartiers chics de la capitale. Mariés depuis longtemps, parents de deux jeunes adolescents qui ne reviennent qu'épisodiquement, car mis en pension dans un prestigieux établissement scolaire, tous deux mènent une vie sans encombre, une vie bien réglée selon les codes de la grande bourgeoisie parisienne.
Ainsi, pendant que Monsieur, après un petit-déjeuner solitaire où l’œuf à la coque et la lecture matinale du Figaro tiennent une place d’honneur, part effectuer sa journée, Suzanne Joubert (Sandrine Kiberlain) fait tout son possible pour combler une journée promise à une vacuité sans pareil. Elle y parvient en jonglant avec l'ordre de son emploi-du-temps où petit déjeuner servi au lit, visite chez la couturière, emplettes, déjeuner en compagnie d’amies et partie de bridge constituent les moments-clés.
Les femmes du sixième : Maria, Concepcion, Carmen et les autres
Pour Maria (Natalia Verbeke), Paris est chargée de toutes les promesses d’un avenir meilleur. Originaire d’une Espagne exsangue qui se remet difficilement de la guerre civile, elle fait partie de cette vague d’hommes et de femmes (beaucoup de femmes) anonymes que la misère pousse à franchir les Pyrénées. La recherche de l’indispensable travail les mènent essentiellement en France, en Suisse et en Allemagne. La jeune femme débarque dans le bel immeuble parisien dont sa tante (Carmen Maura) avec d’autres compatriotes (Lola Dueñas, Concha Galan, Berta Ojea...) occupent le dernier étage.
L’immeuble haussmannien : une hiérarchie sociale inversée
Le Paris intra-muros que nous connaissons de nos jours, nous le devons en très grande partie aux travaux entrepris de 1852 à 1870 par le préfet Haussmann dans le cadre du vaste plan de modernisation et de transformation radicale de la capitale demandé par Napoléon III. Outre les grands boulevards et certains grands monuments, les immeubles que le baron Haussmann fit construire attestent de cette volonté de modernité avec raccordement au réseau d'égouts, d'eau potable et de gaz. Cependant, ces immeubles étaient dépourvus d’ascenseurs, équipement qui ne sera installé dans les cages d’escalier que quelques décennies plus tard. Ce qui explique que les appartements bourgeois se trouvaient au deuxième et, dans une moindre mesure, au troisième et quatrième étage. Dans ces immeubles, une hiérarchie sociale inversée y prenait place : plus on s’élevait dans les étages et moins fortunés étaient les habitants de l’immeuble. Celui-ci était pourvu, dans son dernier étage, sous les combles, d’une enfilade de minuscules chambres, dépendances des appartements des familles des étages inférieurs. Elles servaient de débarras et, souvent, de logements de fortune pour la cohorte de domestiques qui, jusque dans les années 1950, était le plus souvent constituée de jeunes femmes, issues de la province, et tout particulièrement de Bretagne, arrivées avec un même objectif : trouver du travail dans la capitale**.
Quant au rez-de-chaussée, c’était le lieu où trônait la loge, et où régnait la concierge.
L’histoire : M et Mme Joubert, Maria et ses compatriotes, et l’immeuble parisien
Mettez tous les protagonistes dans un shaker (ou dans le même immeuble), secouez bien et vous aurez une de ces belles histoires qui réchauffent les coeurs. La jeune Maria va se trouver engagée par le couple Joubert à la suite de la démission de leur vieille et solitaire domestique bretonne. L’arrivée de Maria, jeune, jolie, volontaire, travailleuse, avenante et gaie va révolutionner la vie sans surprise du couple et surtout, celle de M. Joubert qui, un jour découvrira l’existence de la communauté des femmes espagnoles du 6ème et leur façon de croquer la vie à pleines dents malgré les énormes difficultés qui les assaillent.
La solidarité, la gaieté, le caractère bien trempé de ces femmes simples vont transformer M. Joubert de manière radicale. La découverte d'émotions et de situations insoupçonnées agira sur lui comme une renaissance.
Le film de Philippe Le Guay qui, en France, a attiré jusqu'à présent près de 2 millions de spectateurs nous montre, à travers une histoire à la fois émouvante et drôle narrée tout en finesse, deux façons d'apréhender la vie. La joie de vivre des domestiques contraste d'autant plus vivement avec l'ennui dans lequel s'est enfermé ce couple de bourgeois, somme toute sympathique, mais installé dans une vie étriquée, où tous les jours commencent et finissent de la même manière, où tout semble réglé comme du papier à musique, où la vie semble s'éteindre tout doucement.
*Ces immeubles aux appartements vastes et spacieux ont souvent joué un rôle de protagonistes dans le cinéma français actuel : on peut citer le grand succès de Coline Serreau, Trois hommes et un couffin (1986) ou, plus près de nous, les récents Ensemble c’est tout de Claude Berri (2007) ou le Hérisson de Mona Achache (2009).
** Aujourd'hui ces "chambres de bonnes" sont, le plus souvent, louées à des étudiants.
© Alexandre Garcia – Centre International d’Antibes