Cinéma

Potiche, une satire de la bourgeoisie française

potiche affiche

L'histoire se déroule en 1977, dans une bourgade provinciale où règne l'entreprise Pujol. Le gendre, Robert Pujol séquestré par une grève des ouvriers, se voit laisser sa place de PDG, suite à un congé maladie prolongé, à sa femme Suzanne Pujol, bourgeoise docile, qui lui porta en dot l'usine de parapluies de son cher papa. Cette mission va soudain révéler cette apparente soumise, ainsi que tous les autres protagonistes qui gravitent autour de cette famille et de l'usine.

Une critique des moeurs magistralement menée, une comédie musicale scandée par les refrains des années soixante dix, dans le fond, bien plus qu'une simple comédie de boulevard.

potiche-film-affiche_400L'histoire de cette comédie est adaptée d'une pièce de boulevard de Pierre Barillet et Jean Pierre Grédy créée en 1980, qui fut jouée 570 fois au Théâtre Antoine. Elle fut même diffusée à la télévision dans le programme " "Au théâtre ce soir", qui régala tant de familles françaises. Comment ne pas oublier celle qui a enchanté nos écrans et les scènes de théâtre de France et de Navarre, la comédienne : Jacqueline Maillan, à qui l'on confia le rôle principal de Suzanne Pujol (Catherine Deneuve dans ce film), incontournable comédienne de théâtre et de cinéma ; surprenante avec son style décapant et fantasque, autant que Louis De Funès à la même époque.

La grande audace de François Ozon est d'avoir choisi Catherine Deneuve pour ce rôle. En effet, l'actrice française qui représente l'élégance et à qui l'on confie souvent des rôles dramatiques, se dévoile dans cette comédie sous des aspects moins connus. Ceux qui connaissent les films de Jacques Demy (Les parapluies de Cherbourg, palme d'or en 1967, Les Demoiselles de Rochefort etc..) ne seront pas très surpris de la retrouver dans un genre plus léger aux allures de comédie musicale. Elle avait déjà tourné dans 8 femmes avec ce même réalisateur, où là encore la fantaisie et la comédie musicale étaient au rendez vous. Au travers de ce film, c'est une histoire du cinéma qui défile, les films de F. Truffaut, ceux de J.Demy auxquels ce réalisateur voue un amour sans borne pour l'avoir inspiré et révélé :" J'espère qu'à sa manière, mon film sera aussi fondateur que celui de Truffaut", quand il évoque Le Dernier métro (1980) où le couple d'acteurs, Deneuve-Depardieu se retrouvaient. C'est avec Potiche, leur 7 ième film ensemble et l'on sent dans leur jeu une complicité hors pair, une autodérision qu'accordent la maturité et la tendresse. F.Ozon nomme clairement son admiration et sa tendresse pour ce couple d'acteurs : "Catherine et Gérard sont des gens entiers, ancrés dans la vie, pas dans le cinéma. Ils n'ont pas peur du ridicule et ne se sentent jamais plus intelligents que leurs personnages". Une liaison adultère qu'ils avaient savourée dans leur jeunesse et que le temps n'a pas meurtrie, est en toile de fond. Des enjeux moraux et leurs rôles sociaux vont les conduire à des affrontements où la stratégie et la supercherie tant politique qu'humaine vont bon train.

Dès les premiers plans du film, Catherine Deneuve courant le matin tôt dans la brume d'une forêt, moulée dans un survêtement rouge, telle une joggeuse confirmée, annonce le cocasse d'une vraie comédie de boulevard. Son brushing, ses ongles manucurés, son bandeau qui tire un visage lifté sont des signes en complet décalage avec son allure sportive. Ce contraste pose l'enjeu du film : qui se cache derrière les apparences? C'est une histoire de jeux de masques qui pourrait se résumer à l"habit ne fait pas le moine", ou plus proche des enjeux cinématographiques : le costume ne fait pas le rôle et surtout le rôle ne fait pas l'acteur. Sans doute F.Ozon, en prenant des comédiens singuliers (Luchini, Viard, Depardieu, Godrèche, Rénier) cherchait justement à souligner la créativité d'un jeu d'acteur qui révèle les faces cachées d'un personnage.
Dans cette famille, bouleversée par la maladie soudaine de Robert Pujol -cliché de l'autorité et du macho égoïste- les changements vont permettre à chacun des personnages d'exprimer enfin, leurs faces secrètes. Suzanne Pujol, femme bourgeoise aux allures irréprochables, soumise à son mari et à son rôle de mère sans faille, se dévoile une séductrice hors pair, qui vit ses amants avec une légèreté délicieuse, et qui va goûter au pouvoir et y prendre goût. Le père, déstabilisé par ces révélations, va lui aussi tenter de briser le cours de la stratégie qui le menace. Le maire communiste, Maurice Babin (Gérard Depardieu), amoureux de madame Pujol, va découvrir une femme inconstante, imbue de pouvoir et prête à tout pour arriver au sommet ; puisqu'elle se présentera aux élections et lui dérobera habilement la place politique qu'il occupait depuis longtemps. Amant délaissé, il se vengera et utilisera les stratagèmes de ceux qu'ils méprisent, aidé par Robert Pujol, celui qui incarne la Capitalisme. Le fils (J.Rénier) homosexuel caché, se libère enfin au travers de ses créations de parapluies qui signent le talent du styliste de l'usine et affirment sa féminité. Il n' aura plus besoin de parler de sa liaison avec la fille du pâtissier que personne ne voit jamais.
Ce mensonge en ouvre d'autres qui vont semer le trouble de l'identité paternelle chez le mari Pujol et chez l'ex-amant (Babin). Un imbroglio à suivre de près, digne d'un vaudeville où l'on ne sait plus qui est qui et qui aime qui ? La fille (J.Godrèche), femme moderne, rebelle, très critique envers sa potiche de mère, reculera finalement devant la liberté et l'affirmation de son identité : elle laisse à son mari (qu'on ne voit jamais) le poste-clé dans l'usine, se rapprochant des idées conservatrices et machistes de son père. La secrétaire bafouée (Karin Viard), potiche, elle aussi, comme madame Pujol le fut, va trouver un chemin de revendication politique et féministe qui la surprendra autant qu'elle nous surprendra, au point de devenir l'alliée de celle qui fut longtemps son ennemie : Madame Pujol. Qui est donc la Potiche et la Potiche de qui ?

Pourtant, le rôle de C.Deneuve en dit bien plus qu'un rôle de comédie, par cette fin où en chantant :"C'est beau la vie" (chanson de Jean Ferrat), elle défile dans la foule de ses électeurs, après sa victoire. Ce passage est digne d'un moment de festival de Cannes, où une actrice passe au travers des flashs des appareils photos pour se donner à son public. C'est un moment qui rend hommage à l'actrice Deneuve et aux acteurs de cinéma. Il évoque pour le public cette communion rare, que chantait Barbara : ..." ma plus belle histoire d'amour c'est vous...". La plus authentique histoire d'amour de ce film est certainement celle-là. Et à son air, tous fredonnent, laissant enfin leurs coeurs battre la chamade pour ce même amour : Le cinéma.

 

© Muriel Navarro – Centre International d'Antibes

Partager