Considérations sur notre métier d’enseignants de Fle
Il n’est pas rare d’entendre les enseignants affirmer qu’ils seraient « des psychologues » voire des thérapeutes. Or, jusqu’à preuve du contraire, une salle de classe, même dans le FLE, n’a rien d’un cabinet de psychologue. Y aurait-il dans nos écoles un divan de psychanalyste que nous n’aurions pas vu ?
Une évolution
Tout d’abord, un peu d’histoire, résumée à grands traits. Notre époque se montre friande de « sensibilité », de quotient émotionnel et de tout baromètre ou échelle pouvant valoriser ce qui ne relève pas de la raison « pure ». On peut y voir une réaction contre la rationalité triomphante qui s’est imposée depuis plus de de 200 ans. Paradoxe amusant autant qu’irritant : le propre de la sensibilité et des émotions serait de ne pas se quantifier mais voilà qu’on veut les mesurer. Mais quoi d’étonnant ? En Occident on croit changer de procédé sous prétexte qu’on change de domaine. En réalité, qu’on le veuille ou non, le critère quantitatif ne disparaît quasiment jamais. Il s’agit simplement d’en être conscient.
Par ailleurs, l’importance accordée à l’individu et donc à l’ego a explosé en Occident au détriment du collectif. On peut s’en réjouir comme le déplorer mais on s’accordera à le constater. En effet, la contestation des autorités traditionnelles, religieuses, civiles et familiales ayant vacillé, nous voilà devenus intellectuellement « libres ». Or la liberté s’avère parfois encombrante, bien des gens ne sachant qu’en faire et ayant bien du mal à se trouver une boussole morale. Aussi l’intérêt s’est-il recentré sur le moi et ses turbulences.
C’est ainsi que, depuis quelques décennies, le sacro-saint « ressenti » a pris une place prépondérante. On prétend mieux comprendre l’humain et mieux le « manager » en surexploitant cette notion. Par la force des choses, les métiers de l’enseignement se voient donc impactés par cette tendance globale.
Entre psychologie et psychologisme
À force de croire autant à cette nouvelle vision, finit par régner une certaine confusion des genres au sujet de ce que l’enseignant ferait réellement. Il y aurait en effet dans les classes « des psychologies », des « personnalités », notamment quand il s’agit d’étudiants adultes. Mais pourquoi formuler autant une telle évidence ? Notre métier demande certes de nous adapter à ces personnalités et à trouver le ton juste. Mais rappeler à tout va la présence de ces « personnalités» trahit une perplexité qui n’a pas lieu d’être, à moins qu’elle ne révèle une inquiétude quant à la capacité à gérer les individus ou la tendance au psychologisme. Cette tendance consiste à tout voir par le spectre de la psychologie, laquelle expliquerait tout, à la manière d’une forme de scientisme contemporain, en somme. Et on comprend pourquoi à la lumière de ce que nous disions plus haut : l’ego, les émotions, le « ressenti », nouveaux sésames de la pensée.
Certes, le métier de professeur comporte une forte composante psychologique de par la nature de notre activité. Mais pas seulement. On est un peu comédien, comme dans un one man show, un peu acteur, un peu psychologue, un peu animateur -tout particulièrement dans le FLE- un peu présentateur de télé, un peu parent parfois, lorsqu’on a affaire à des jeunes, dans la mesure où l’exercice de notre métier nous place en situation d’autorité, qu’on le veuille ou non. Tout cela est bel et bon. N’importe quelle personne ayant enseigné, de la maternelle jusqu’au secondaire, vous le confirmera. La cause est donc entendue, cependant ne soyons pas dupes. Toutes ces facettes ne constituent rien d’autre que des aspects multiples se fondant dans notre métier mais n’en constituant pas la nature. Nous enseignons, rien d’autre. Et c’est déjà beaucoup. Le reste, tout le reste, ce sont des éléments, des aspects certes importants du métier mais pas l’essence fondamentale, si on me passe le pléonasme. Si on se sent thérapeute ou artiste frustré, il faut peut-être envisager de changer de métier.
Ce que nous sommes
Il en va de même concernant une autre profession partiellement connexe au métier d’enseignant, celui de comédien. Dira-t-on que l’acteur est un psychologue ? Peut-être l’est-il un peu dans la mesure où il doit sentir à quel public il a affaire, l’ambiance de la salle, la tension éventuelle, la réactivité de l’audience et bien d’autres éléments. Mais il ne se fait pas réellement et directement le thérapeute des membres du public, quel que soit le degré d’adhésion et d’enthousiasme de ce dernier. On pourrait contester en soulignant l’effet de catharsis que peut provoquer un spectacle mais ce dernier tient à la nature de l’art et ne transforme encore et toujours pas l’acteur en thérapeute, encore moins en confident.
Et ainsi des enseignants. Un prof n’est ni un gourou ni un oracle, il est prof. Le fait d’avoir affaire à un public ne nous transforme pas en voyant ou en augure capable de « sonder les cœurs et les reins », selon une vielle formule. Un enseignant est un rouage intelligent et humain, une intelligence non pas artificielle mais naturelle, un robot avec un cœur, pour le dire dans des termes naïfs. Nous servons. Nous servons à délivrer de la connaissance, à susciter le désir d’apprendre et, finalité ultime dans le FLE, à majorer la prise de parole, son volume comme sa qualité.
Vous l’aurez compris, il ne s’agit en rien de nier la place de l’affect et des émotions en tant que parties intégrantes de notre métier mais de remettre en perspective le poids réel qui les caractérise. Ne nous prenons pas pour ce que nous ne sommes pas car nous avons tant à faire.
© Olivier Dalmasso - Centre International d’Antibes