Paris-Briançon de Philippe Besson Pocket mars 2023 (paru en 2022 chez Julliard)

Philippe Besson, écrivain, scénariste et dramaturge, publiait en 2001, son premier roman, En l'absence des hommes, couronné par le prix Emmanuel-Roblès . Il est l'auteur, entre autres, de Son frère (2002), adapté au cinéma en 2003 par Patrice Chéreau et de Arrête avec tes mensonges (2017), couronné par le Prix Maison de la Presse et porté à l'écran en 2023 par Olivier Peyron. Avec Paris-Briançon paru en 2022, il nous invite à passer une nuit peu ordinaire à bord d'un train-couchette.
[Pour le moment, les passagers montent à bord, joyeux, épuisés, préoccupés ou rien de tout cela. Parmi eux certains seront morts au lever du jour.] p.10 Rien ne relie, a priori, les passagers montés à bord du train de nuit n° 5789 ; une nuit à suspense semble nous être annoncée dès les premières pages...
Comme un roman d'Agatha Christie, l'écrivain nous présente les voyageurs les uns après les autres à mesure de leur montée dans le train. Ils sont une douzaine à partager la même voiture. [Alexis Belcour a quarante ans, pile. Pour l'instant, il ne sait pas très bien quoi penser de ce nouvel âge.] p.15 [Victor Mayer a vingt-huit ans. Il a passé la journée à Paris pour des examens médicaux ] p.19 [Julia Prévost a trente quatre ans. Elle est assistante dans une société de production qui réalise des talk-shows ] p.23 [Jean-Louis et Catherine Berthier ont respectivement soixante-trois et soixante-deux ans. Ils sont mariés depuis trente sept ans.] p.27 [Serge Dufour a quarante-six ans. Il est VRP depuis plus de vingt ans.] p.31 [Manon, Leïla, Hugo, Dylan et Enzo ont dix-neuf ans. Ils ne se connaissaient pas il y a encore neuf mois ] p.35 [Et puis, dans cette histoire, il y a un certain Giovanni Messina. Il faudra bien parler de lui.] p.39 . Philippe Besson suscite une nouvelle fois notre curiosité.
L'écrivain nous offre un roman sociologique dans ce huis clos ferroviaire, une galerie de portraits miroir de notre société : des êtres vulnérables victimes de maux ordinaires comme le fils de Julia examiné par Alexis [Tout indique qu'il a attrapé une angine. Il a dû chopé un virus, ça circule beaucoup ces temps-ci.] p.47 ou victimes de violences comme la même Julia qui accepte d'ouvrir une brèche devant Serge, un inconnu [Vous voyez ces marques sur mon cou. C'est lui qui les a faites, la dernière fois qu'il a débarqué à l'improviste.] p.83 , une jeunesse turbulente et insouciante car pour Hugo et ses amis, [ le temps des contraintes n'est pas encore venu, avec son cortège de devoirs, de normes ou d'inquiétudes. Ils peuvent encore se laisser guider par la légèreté, s'adonner à l'indolence, céder à l'optimisme.] p.88, la vieillesse aussi et la maladie avec Jean-Louis qui évoque l'heure tardive pour ne pas dire [la sensation que tout est corvée, que la moindre activité exige une force surhumaine] p.99, la peur du chômage qui étreint Serge [qu'est-ce qui va se passer maintenant ? Surtout que moi, j'ai quarante-six balais, c'est clairement pas un bon âge pour dégoter[1] un nouveau boulot ] p.97, la difficulté à assumer sa sexualité pour Victor qui [sait même depuis des années, il en a été dévasté quand il en a eu la révélation, alors il a d'abord considéré qu'il se trompait – on lui avait tellement inculqué les vertus de la virilité, c'eût été déchoir -] p.118.
Ce sont 45 petits chapitres qui défilent le long des voies ferrées entre Paris et Briançon et qui traversent la nuit pour un voyage durant lequel se nouent ainsi des liens et s'échangent des secrets. La plume de l'écrivain est sensible, légère, parfois teintée d'humour, les phrases sont simples et les trois registres de langue se côtoient comme pour rester fidèles à la complexité des uns et des autres.
Ce roman de la fatalité – les derniers chapitres sont là pour nous la rappeler - n'oublie aucun des maux sociétaux actuels et pourtant rien n'est pesant. Cette fiction se lit d'une seule traite. Laissez-vous donc bercer par le roulement des wagons de l'Intercités n°5789, vous ne le regretterez pas !
© Sylviane Colomer - Centre International d'Antibes
[1]Le Prix Emmanuel Roblès récompense chaque année, depuis 1991, un auteur de premier roman français ou francophone, édité en France et destiné aux adultes. Il est organisé par la Communauté d'agglomération de Blois.
[2]Dégoter un boulot : trouver un emploi (fam.)