Edito du mois

Nous adorons l'histoire

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Les Français aiment l’histoire. Ou disent l’aimer. Ou l’aimaient. Alors qu’on pensait que ce verbe, à propos de l’histoire, ne se conjuguait plus qu’à l’imparfait, un regain d’intérêt refait surface puisqu’ éclosent des chaînes youtube consacrées à cette matière. La chaîne la plus regardée et la plus connue est sans conteste Nota Bene. Il s’agit de vidéos de vulgarisation rencontrant un vif succès. D’autres chaînes trouvent un écho dans le public, notamment chez les jeunes. On songe à Questions d’histoire ou L’histoire nous le dira, présentée par une professeure d’histoire québécoise. Mais si l’on cherche une teneur équivalente à celle de France Culture, il faut citer l’excellente Storia voce, où des historiens interviennent dans le cadre d’un entretien.

Il ne faut pas exagérer le succès de ces chaînes et s’imaginer qu’elles révéleraient une passion entière et indiscutable pour l’histoire chez les Français et plus largement chez les francophones. Toujours est-il que l’intérêt ne saurait être nié. On  trouve sur les chaînes Youtube des éléments présents dans Secrets d’histoire, émission de télévision présentée par Stéphane Bern, un certain sensationnalisme en moins. Ce dernier a été moqué du temps des ses premières interventions sur la télévision publique, il y a 30 ans, eu égard à son amour du passé et des têtes couronnées. Outre la sympathie qui émane de lui, son amour de l’histoire et du patrimoine s’avère indiscutable. Il a du reste lancé, il y a quelques années, une collecte via le Loto, destinée à la restauration de grands monuments.

De toutes les chaînes que nous avons citées plus haut, seule Storia voce ne relève pas de la vulgarisation, les chercheurs venant y exposer leurs thèses et travaux. Et c’est là que le bât blesse, non pas du côté des vulgarisateurs, dont on ne peut que saluer le travail, mais du côté du public. Le travail des youtubeurs, sincère et conséquent, ne présente qu’une porte d’entrée, un apéritif. On ne devient pas connaisseur en matière d’histoire en suivant une chaîne de ce type mais par la lecture d’ouvrages, parfois austères. Evidence ? Pas forcément. Il faudrait, à cet égard, tempérer l’enthousiasme de certains followers  qui, à les en croire, se seraient découvert une passion pour l’histoire. Ainsi lit-on des commentaires sur Youtube tels que : « J’aurais trop aimé avoir un prof comme toi. » Traduction : l’histoire telle qu’enseignée à l’école s’avère d’un ennui mortel sans saveur aucune. On a envie de répondre « moui », comme on dit en français quand on se montre sceptique. Certes, les profs barbants, ça existe, les esprits étriqués ou tout simplement coincés, incapables de transmettre leur passion, ça existe. Par ailleurs, tous les profs ne détiennent pas la flamme sacrée (avec quelques raisons, de nos jours). Rien de nouveau sous le soleil. Mais il ne s’agit que d’une facette de la question car il ne faudrait pas oublier une chose. Un prof d’histoire -ou de lettres- transmet avant tout un patrimoine -et une vision-  donc pas du simple divertissement. Par conséquent, le contenu délivré est parfois ingrat, l’histoire étant un savoir.  Cela ne veut pas dire qu’il faille renoncer à une approche ludique mais simplement qu’il ne faut pas  se montrer dupe d’une illusion d’optique, ni en tant qu’enseignant ni en tant qu’élève ou auditeur.

L’histoire est devenue de nos jours la discipline la plus malaisée à enseigner pour des raisons de contexte, social, historique, tout ce qu’on voudra. Or, on ne saurait reprocher à des professeurs étant avant tout d’honnêtes fonctionnaires d’accomplir ce pour quoi ils ont été formés et sont rémunérés. Le youtubeur amateur d’histoire, en comparaison, a le beau rôle. Il ne fait pas directement partie d’un système éducatif, donc académique et administratif, avec toutes les contraintes que cela suppose. Le youtubeur n’a aucune évaluation à mettre en place, aucune appréciation individuelle de chaque viewer  à établir, aucun parent d’élève pour lui demander des comptes, aucun élève pour le contester frontalement au point de mettre en péril sa prestation, voire pire. Dans ces conditions, il est plus aisé de donner libre cours à sa passion et à son bon plaisir. Et c’est fort bien ainsi. C’est ce qui constitue l’attrait et l’intérêt d’un support tel que Youtube. En outre, quoi de mieux que de susciter ou de raviver un intérêt pour l’histoire ?

Mais on ne peut en rester là si l’on prétend que la matière nous attire réellement : il faut lire. Lire des articles spécialisés, écouter le chaîne Storia voce ou France Culture, et surtout, surtout , encore et toujours lire. Vous vous prétendez intéressés par le Moyen Âge ? Jacques Le Goff, Régine Pernoud et Jacques Heers n’attendent que vous. L’Antiquité vous attire ? Le regretté et récemment disparu Paul Veyne est à disposition. Sans compter les sources antiques en livre de poche : Suétone, Tacite, Tite-Live. Curieusement, on se bouscule moins pour les acheter ou les emprunter en bibliothèque. Les youtubeurs, eux, sont ou ont été des lecteurs, de réels passionnés d’histoire. Ils ont assimilé des textes, des visions et des présupposés -pas toujours de façon consciente, d’ailleurs. Ils ont le mérite de mettre leur passion en mouvement et de la présenter au public. Un talent d’écriture, de montage, de mise en image fait le reste. Il faut saluer leur entreprise comme il se doit. Sans jamais oublier le travail ingrat des profs d’histoire du secondaire.

Bien sûr, puisqu’on en est à parler de passion, il faut traiter cet aspect jusqu’au bout et poser la question qui fâche : quelle proportion d’enseignants est réellement passionnée par l’histoire ? Question tout aussi délicate appliquée à la littérature, une fois passé le cap du diplôme et des concours. Qu’une horde de bachoteurs devienne prof, rien d’étonnant. C’est d’ailleurs en partie souhaitable car des gens méthodiques et travailleurs sauront se montrer clairs et abordables, ce qui suffit amplement à une bonne partie de leur tâche. En revanche, si vous êtes, enseignant ou pas, réellement intéressé par la matière, échanger avec eux s’avérera décevant. S’en tenir à un  programme et à des méthodes limite l’enseignement à son aspect fonctionnel, quand il fonctionne. Or, se restreindre à cette dimension lorsqu’on est enseignant interroge sur le niveau d’intérêt réel accordé à la discipline qu’on se fait fort de transmettre.

Autre aspect déroutant pour les élèves : de nos jours, l’enseignement de l’histoire se veut thématique plutôt que chronologique. Par exemple, les paysans au XIIIème siècle, le monde des clercs, les hérésies, etc. Cette approche, éminemment féconde pour des historiens, devient problématique quand elle est mise directement au contact des écoliers. L’histoire, c’est d’abord et avant tout la chronologie, les dates, les souverains, les batailles qui font et défont pays, royaumes, empires et nations. Les points de repère chronologiques définis permettent d’y voir clair. Or, une génération de chercheurs à changé d’optique dans les années 60 en privilégiant des thématiques plus ou moins restreintes, plus ou moins larges. Il s’agit de membres de l’Ecole des chartes ou des Annales. Ainsi, un Michel Pastoureau, historien passionnant, devenu spécialiste du bestiaire de l’héraldique et de l’imaginaire qui y correspond. Un tel sujet était dédaigné ou au mieux marginal au début de sa carrière. On invite aujourd’hui Pastoureau sur des plateaux télé. On citera encore une fois Paul Veyne, à la pensée libre voire provocatrice. Mais on parle là de démarches intellectuelles d’adultes pleinement formés, conscients des choix méthodologiques et conceptuels qu’ils opèrent, et enseignant dans le supérieur. Appliquer le résultat de ce long processus comme nouvelle approche académique et scolaire de l’histoire dans l’enseignement du secondaire perturbe les élèves. Quand des lycéens, et pourtant pas des cancres, nagent en plein anachronisme, c’est le signe d’une faillite, à plus forte raison quand ce constat se généralise. On ne conteste le découpage en périodes et l’histoire traditionnelle qu’après en avoir assimilé les bases de façon rigoureuse. Mais c’est une autre histoire.

Pour en revenir aux youtubeurs mordus d’histoire sur lesquels nous ouvrions notre propos, remercions-les de brandir la flamme d’une passion qui nous éclaire de loin. Mais n’oublions pas qu’ils ne sont que les phares menant à de vastes bibliothèques.

 

© Olivier Dalmasso  - Centre International d’Antibes 

 

En photo, La Côte d’Azur et son arrière-pays d’autrefois. Collectif. Éditions Sutton. décembre 2022. 12,90 euros.  Cet ouvrage de photographies anciennes, diffusé par le groupe Nice Matin, montre à quoi ressemblait notre région naguère. 

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