Le loup, ce mal-aimé qui nous ressemble, Pierre Jouventin, Editions HumenSciences, 2021

Objet de fantasmes, d’adoration ou de rejet, le loup suscite des réactions variées et parfois extrêmes. Des écrivains et des artistes se montrent sensibles au magnétisme de cet animal. La pianiste Hélène Grimaud, qui entretient avec le loup une relation passionnelle, ou encore l’historien Michel Pastoureau, chercheur infatigable qui analyse la portée symbolique du loup et lui a consacré un ouvrage il y a quelques années. Place, cette fois, à un travail scientifique fortement teinté de militantisme.
Pierre Jouventin est chercheur au CNRS, éthologue spécialisé dans l’étude des animaux sur leur lieu de vie. L’auteur se propose de démontrer l’altruisme du loup au travers de son expérience non seulement professionnelle mais personnelle. En effet, Jouventin et sa famille ont vécu plusieurs années en compagnie d’une louve apprivoisée. Bien que cette donnée ne constitue pas le coeur de l’ouvrage, il en sera tout de même question. Le livre se présente en cinq parties, mais en réalité deux moments, l’un scientifique et factuel, l’autre partisan et et militant. Précisons qu’aucun de ces termes ne revêt de connotations péjoratives. D’une part, l’objectivité absolue n’existe pas, surtout en science, d’autre part, l’homme étant un animal politique, cet aspect de l’humanité se manifeste dans tous les domaines. Il convient donc de rappeler d’où parle l’auteur. Un chercheur, donc, un amoureux des loups, un écologiste. En bref, Pierre Jouventin se propose de mettre en parallèle les origines phylogénétiques du loup et du chien, leur relation avec l’homme, puis aborde un volet sociétal, à savoir la relation entre les éleveurs de moutons, hostiles au loup, et les écologistes cherchant à le protéger.
À des lieues de la théorie de l’animal-machine de Descartes, Jouventin s’inscrit dans une mouvance attribuant au loup des qualités communes à celles de l’homme.
Chien et loup
Le fait est que la démarche interpelle. L’auteur souligne qu’on ne connaît l’origine du chien que [depuis une quinzaine d’années]p.94. Une doxa voulait que certaines espèces pourtant proches ne soient pas interfécondables. Or elles le deviennent parfois par accident (ainsi serait né le dingo) ou en captivité, car cette situation met en présence des individus et espèces ne se rencontrant guère dans leur milieu naturel. [Le chien est plus proche des sous-espèces actuelles de son ancêtre [le loup] que [...]du coyote.]p.96 à l’opposé du chat qui a très peu muté dans la mesure où ce qui intéressait l’homme n’était que sa capacité à attraper des rongeurs susceptibles de dévorer les céréales. Aucun besoin de procéder à des croisements afin de créer une espèce domestique ne se faisait donc sentir. De nos jours, ce besoin se faisant moins impérieux, on assiste à [une explosion de races félines plus spectaculaires les unes que les autres]p.102. L’homme plie la nature à ses besoins. Rien de nouveau sous le soleil mais on appréciera l’auteur de ne pas nous gratifier, à ce sujet, de considérations pseudo-philosophiques.
D’autres surprises s’enchaînent : on apprend que le pékinois est plus proche du loup que ne l’est le berger allemand, ou que certaines races de chiens-loups n’ont pas plus de cinquante ans. Les croisements se poursuivent donc encore à notre époque. Par ailleurs, il semble que la domestication du chien soit antérieure de 2000 à 3000 ans à ce que l’on estimait depuis longtemps. À la [fin du Néolithique]p.105 , il y a environ 11 000 ans.
Le loup, frère ou ennemi ?
Signe évident de domestication et divergence majeure avec le loup, le chien, que l’auteur qualifie d’ [éternel ado]p.117 , accepte toute sa vie l’autorité du dominant une fois celle-ci établie, là où le loup, pour se reproduire, doit à un moment la contester. L’homme a en effet sélectionné les spécimens de loups les plus dociles et joueurs afin que se transmettent à leur descendants cette caractéristique appelée « néoténie », les attributs de l’extrême jeunesse. En parcourant l’ouvrage de l'éthologue, on apprend de nombreux éléments concernant la sociabilité du loup, son aptitude à l’entraide tellement développée que [la structure sociale du loup […] permet une coordination parfaite entre les membres de l’équipe, comme cela existe chez peu d’espèces animales.]p.88
La deuxième partie de l’ouvrage insiste lourdement sur ce que l’on connaît déjà au sujet des tensions entre éleveurs et écologistes. L’auteur se montre partisan et professe, sans surprise, une vision écologiste et « pro-loup ». Le lecteur n’apprendra rien de bien nouveau, hormis quelques statistiques détaillées. En revanche, Jouventin soulève un point d’importance qui questionne non seulement les éleveurs français mais les Français en général sur leur rapport à l’État et aux subventions qu’il délivre. Dans aucun autre pays d’Europe, les réclamations visant à l’extermination du loup ne semblent aussi marquées qu’en France. Dans aucun autre pays d’Europe, la cohabitation loup/éleveur ne se passe aussi mal. Dans aucun autre pays d’Europe, l’État n’accorde de si larges subventions en réparation aux moutons dévorés. À telle enseigne que des étudiants se dévouent afin de seconder les bergers dans leur tâche de surveillance. On reste songeur face à pareille situation. Le travail d’un berger ne consiste-t-il pas, avant tout, à surveiller son troupeau ? Jouventin ne mâche pas ses mots : [L’État est faible et complaisant]p.143. On peut objecter que le parti pris de l’auteur trouverait des réponses argumentées du côté des bergers. Cependant, les faits qu'il relate nous interpellent.
Par ailleurs, Jouventin s’en prend clairement au lobby de la chasse tout en n’épargnant pas son propre camp. Le chercheur pointe en effet des paradoxes et dissensions au sein des écologistes : [José Bové, longtemps député européen des Verts mais aussi ancien éleveur de moutons, appelle à tirer systématiquement les loups...]p.155. Au-delà de la seule question du loup, tout militantisme met en lumière des spectres de gris. L’auteur a le mérite de le rappeler.
Pour finir, cédons la parole à l’auteur : [Ce ne sont pas les convergences anatomiques ou physiologiques qui nous rapprochent le plus du loup mais la psychologie sociale, l’émotivité, la solidarité […] dont nous sommes tous les deux les grands spécialistes.]p.213).
© Olivier Dalmasso – Centre International d'Antibes