Edito du mois

2012 – 2022. Deux dates pour une Union Européenne relancée

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Effaré, scandalisé, sidéré, comme tous les témoins impuissants de cette barbarie qui afflige à nouveau le sol européen, je me suis souvenu d’un article écrit il y a longtemps, au lendemain de l’attribution du Prix Nobel de la paix à l’Union Européenne. C'était en octobre 2012.

J’ai relu et considéré à l’aune du cataclysme présent ce que j’y écrivais à l’automne de cette année-là :

[Depuis la crise des subprimes en 2008, l’Europe est prise dans des turbulences économiques et politiques. Aujourd’hui la monnaie unique, créée pour cimenter cet ensemble patiemment construit, menace de faire écrouler l’échafaudage. Quatre années que l’Union européenne se tient au bord du gouffre, quatre années qu’elle agite ses membres pour garder l’équilibre et ne pas tomber dans l’abîme.
C’est là que le comité Nobel vient de l’y rejoindre pour lui remettre le prix Nobel de la paix.]

 

[ (...) Le 12 octobre 2012, le comité Nobel a décerné le prix de la paix à l'Union européenne, en tant que personne morale,  pour avoir "contribué pendant plus de six décennies à promouvoir la paix et la réconciliation, la démocratie et les droits de l'homme en Europe", et pour l'exemple donné au reste de la planète car, nulle part ailleurs, un rapprochement institutionnel transnational comparable n'a pu avoir lieu.

Cela fait bien presque sept décennies que les grandes puissances européennes ont pris la résolution de s'employer à construire un avenir commun plutôt que de s'évertuer à séparer leurs peuples. Un beau projet qui aurait fait s'écrier « Science-fiction ! Impensable ! » à tout citoyen pris dans la tourmente du début des années 1940.

On ne dira jamais assez l'exploit politique réalisé : alors que, durant des siècles, chaque peuple avait bâti sa propre identité par opposition aux autres, alors que les différentes cultures, les particularismes avaient été instrumentalisés pour servir des nationalismes exacerbés qui, partout renforçaient des frontières, élevaient des forteresses tout en s'ingéniant à concevoir des dispositifs capables de neutraliser celles des voisins, voilà que depuis plus d'un demi-siècle, nous employons toute notre énergie à construire un nouvel espace géopolitique, nous mettons en commun, nous nous ouvrons les uns aux autres, nous prenons conscience de la richesse que supposent nos multiples cultures et la diversité de nos langues.]

Je m’arrête sur la pensée qui concluait mon propos il y a dix ans :

[Aujourd'hui, l'édifice paraît bien fragilisé, de nouveaux nationalismes se font entendre, nous ne paraissons plus sûrs de rien. Une frilosité nous tétanise. Nous semblons égarés dans une impasse et nos vieux démons semblent prêts à ressurgir. C'est précisément le moment qu'a choisi le comité Nobel pour nous encourager, nous enjoindre de mesurer le miracle qui s'est produit, de continuer à avancer et de ne pas renier les valeurs de paix, de justice et de progrès social qui ont été celles des bâtisseurs.]

Le 24 février 2022, horrifiés, nous avons assisté aux premiers bombardements qui s'avèreront massifs frappant sans discrimination  villes, hôpitaux, écoles et quartiers résidentiels. Nous avons suivi les centaines de milliers de civils surtout des enfants, des femmes et des personnes âgées jetés sur les routes, devenus des réfugiés dépendant de la solidarité et de l’humanité des pays voisins. Années 1940, année 2022, la barbarie est la même, seule la couleur des images diffère de celles de jadis.

Placée entre les deux blocs antagonistes dès la fin du conflit mondial, la construction de la Communauté européenne se voulait pacifiste, basée sur des valeurs humanistes et démocratiques. Le progrès économique devait aller de pair avec le progrès social et c'est en Europe terre des Lumières, que s'élabora un modèle social inédit. La communauté des six pays puis bientôt des douze traversera la guerre froide rivée à la paix. Après la chute du mur de Berlin de nouvelles et jeunes démocraties demandèrent à rejoindre l'Union européenne. Cependant, les différences interculturelles plus difficiles à gérer à près de trente nations, le manque d'objectifs clairs et stimulants laisseraient bientôt apparaître des différends dont la germination et la croissance allaient être favorisées par les temps de paix que l’on se plaisait à imaginer pérennes.

Il aura donc fallu qu'un nouveau dictateur sanguinaire surgisse en Europe pour que l'Union européenne reprenne tout son sens et se décide à sortir de l'apathie pour affronter les conséquences de la guerre qu'il a déclarée. Du jour au lendemain, les vingt-sept démocraties ont laissé de côté ce qui les opposait et apparaît aujourd'hui, comme des chamailleries, pour se concentrer sur l'essentiel : mettre un terme à la barbarie déclenchée.
 C'est en faisant front ensemble, en cherchant des solutions pour venir en aide à un pays souverain agressé, envahi par son puissant voisin que les vingt-sept pays ont relancé cette Union européenne qui semblait en panne d’idées. La construction de l’Union est entrée le 24/02/2022 dans une nouvelle ère où le réalisme géopolitique a pris le pas sur la naïveté. Trente ans après la chute de l’URSS, nous vivons un autre moment historique. On dit que désormais le monde ne sera plus pareil. L’Union européenne non plus.

 

© Alexandre Garcia- Centre International d’Antibes –

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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