Edito du mois

Joséphine Baker au Panthéon

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Le mardi 30 novembre dernier, Joséphine Baker entrait au Panthéon parce que c'est une femme née noire et américaine dans une société fermée d'assignation à résidence et qui est devenue tout au long de sa vie et jusqu'au bout de celle-ci, l'incarnation des valeurs des Lumières. Découvrons ou redécouvrons le parcours, ô combien exceptionnel, de cette grande dame du music-hall qui a su rester fidèle à ses idéaux, contre vents et marées.

Pourquoi le Panthéon ?

Prévu à l'origine, au XVIIIème siècle, pour être une église qui abriterait la châsse de Sainte Geneviève (la patronne de Paris et (depuis 1962)de la Gendarmerie nationale française ), ce monument a, depuis la Révolution française,vocation à honorer de grands personnages ayant marqué l'Histoire de France.

 Sur 8O personnes qui ont marqué l'histoire, Joséphine Baker est la 6ème femme à entrer au Panthéon. Sophie Berthelot, Marie Curie, Germaine Tillion, Germaine de Gaulle Anthonioz et Simone Veil[1] l'avaient précédée ; mais elle est la première femme noire à pénétrer au sein du temple républicain.

Selon la volonté de ses enfants, son cercueil est rempli de la terre des quatre endroits symboliques où elle a passé un grande partie de sa vie : Saint Louis, sa ville de naissance, Paris, sa ville de cœur, Les Milandes en Dordogne où elle a possédé un château, et Monaco où elle repose auprès de son mari Jo Bouillon et d'un de ses enfants.

La date du 30 novembre n'a pas été choisie au hasard non plus. Elle coïncide avec la date anniversaire de son mariage avec Jean Lion qui lui a permis d'obtenir la nationalité française[2] en 1937.

La meneuse de revue

La petite fille du Missouri née en 1906 à Saint Louis serait fière de cet hommage qui lui revient. Rien pourtant ne laissait présager un si brillant avenir : née dans une famille américaine miséreuse dont la grand-mère avait été esclave, Freda  Joséphine Mc Donald[3] aurait pu rester dans l'anonymat. C'était sans compter avec son talent fou et son charisme. Elle adorait la danse et faisait preuve en la matière de facultés hors norme. À 14 ans, elle prenait la route avec une troupe des rues pour atteindre Broadway et à 19 ans, elle allait devenir la meneuse de la Revue nègre, un spectacle conçu pour la France. Ainsi, en 1925, elle gagnera le statut de vedette au théâtre des Champs Élysées à une époque où persistaient les expositions coloniales mais où artistes et intellectuels se pressaient au Bal nègre, un club parisien consacré au jazz et aux musiques antillaises. Joséphine Baker se sentait chez elle à Paris : Je me suis sentie libérée à Paris, se plaisait-elle à dire. Cinquante ans de carrière de danseuse, chanteuse et actrice  la mèneront encore, à 68 ans, sur la scène de Bobino en 1975, avec l'appui du Prince Rainier et de la Princesse Grace de Monaco, quelques semaines avant sa disparition. Elle aura droit à des funérailles télévisées et son nom sera encore à l'affiche lorsque le cortège passera devant le théâtre.

La Résistante

Lors de la deuxième guerre mondiale, elle s'était engagée dans la Résistance. Sa position d'artiste mondialement reconnue lui ouvrait pas mal de portes qui lui permirent d'être un agent de liaison très efficace. Elle sillonnera ainsi l'Afrique du Nord et le Proche Orient en jeep, au péril de sa vie et en dépit d'une santé précaire qui lui vaudra 18 mois d'hospitalisation au Maroc. Son château des Milandes en Dordogne sera mis lui aussi à contribution : elle y  accueillera et cachera de nombreux résistants à la barbe des autorités allemandes qu'elle recevra comme si de rien n'était.

Son activité de résistante sera rendue publique en 1949 à travers un ouvrage de son coéquipier Jacques Abtey. Puis, en 1961, le 18 août, le Général Valin lui remettra aux Milandes les insignes de la Légion d'honneur, ainsi que la croix de Guerre avec Palme.

Joséphine Baker est accueillie en 2021 au Panthéon avec Le Chant des partisans[4] , émouvant hommage rendue à la Résistante.

La gradée de l'Armée française

Joséphine Baker officier.png Joséphine Baker sera officiellement engagée à Alger en mars 1944 comme sous-lieutenant de l'Armée de l'air des Forces françaises libres, pour la durée de la guerre. Elle y travaillera avec le Général de Gaulle au lycée Fromentin. C'est d'ailleurs sous cet uniforme qu'en 1963 elle prendra la parole lors de la Marche sur Washington pour l'emploi et la liberté organisée par le pasteur Luther King.

La militante antiraciste

Elle fut ainsi après la guerre une infatigable militante contre le racisme dont elle continuait à être victime chaque fois qu'elle rentrait en Amérique et ce, en dépit de la gloire qui l'accompagnait. Pour l'anecdote, dans un restaurant américain, Grâce Kelly avait elle-même été témoin d'une offense raciste à l'encontre de celle qu'elle soutiendra jusqu'à sa mort. Elle s'engage ainsi en faveur de l'émancipation des Noirs et dénonce la ségrégation aux Etats-Unis et plus globalement le racisme dans le monde.

Au sortir de la guerre, elle va aussi tisser des liens indéfectibles avec la Ligue internationale contre l'antisémitisme (LICA) et affirme dans un des nombreux meetings de l'Association[5] : Je combats la discrimination raciale, religieuse et sociale n'importe où je la trouve, car je suis profondément contre et je ne puis rester insensible aux malheurs de celui qui ne peut se défendre dans ce domaine, même si je la trouve en France.

Une maman engagée

C'est avec son mari, le chef d'orchestre Jo Bouillon qu'elle avait épousé en 1947, que Joséphine Baker conçut le projet d'adopter des enfants. Sa tribu arc-en-ciel  (le nom qu'elle a choisi de donner à sa famille) en comptera 12 de cultures, religions et couleurs de peau différentes. Si elle avait connu une enfance difficile dans le quartier pauvre de la communauté noire à Saint-Louis, elle avait décidé de donner le meilleur à ses « bambins » au Château des Milandes. Ainsi, au gré de ses tournées, elle va adopter des bébés aux quatre coins du monde. Le premier de ses enfants sera adopté au Japon lors d'une tournée en 1954. Akio avait près de 2 ans. La 12 ème  et petite dernière, Sellina, née en france, bébé d'une amie marocaine, est adoptée en 1959.  J'ai eu cette idée, confiait-elle en 1962, parce que j'ai vu tellement d'incompréhension entre les êtres humains (…) et j'étais sûre qu'avec de tout petits enfants innocents, ils pourraient donner un exemple absolu de fraternité. Ses enfants sont aujourd'hui devenus comédiens, inspecteurs des impôts, banquiers...et vivent au quatre coins du Monde.

Femme forte, femme comblée, force de la nature, femme engagée, les termes sont légions pour cette grande dame du music-hall pour qui Vincent Scotto aura composé le plus gros succès des années 3O : J'ai deux amours...mon pays et Paris.

Au fond, il n'y a pas plus française que vous[6] Joséphine Baker !

 

© Sylviane Colomer - Centre International d’Antibes 

Notes

[1]Sophie Berthelot rejoint son mari, le  chimiste et homme politique,  Marcellin Berthelot en 1907 au Panthéon en vertu de son titre d'épouse.

Marie Curie entre au Panthéon en 1995 en même temps que son mari Pierre Curie pour leurs  découvertes.

Germaine Tillion et Germaine de Gaulle Anthonioz, ces deux grandes figures de la Résistance  y entreront à leur tour pour leur combat et leurs actes héroïques.

Simone Veil y fera aussi son entrée en 2018, accompagnée de son mari Antoine Veil décédé en 2013.

[2]À l'époque, la nationalité française était automatique  avec le mariage.

[3] La chanteuse a été mariée à William Howard Baker de 1921 à 1925. Elle gardera Baker comme nom de scène.

[4]Anna Marly a composé ce chant  (Marche des partisans  ou Guerilla song) à Londres (où elle était engagée dans les Forces françaises libres) en russe, sa langue maternelle.  Joseph Kessel et Maurice Druon vont en faire une adaptation en français en 1943, Le chant des partisans.

[5]Meeting de la LICRA à la Mutualité (Paris) en décembre 1953.

[6]En guillemets,  les mots du président de la République adressés à Joséphine Baker, lors de son  entrée   au Panthéon.

 

 

 

 

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