Adieu Bébel !

Il était un acteur emblématique du cinéma français, l’égal d’un Delon, tout aussi admiré et aimé. Il n’est plus. Alors que se tourne une page de l’histoire du Septième art hexagonal, revenons sur une figure inoubliable de notre culture.
Paradoxe français
Il incarnait l’insouciance, la virilité tranquille, l’enthousiasme et la bonne humeur. Célèbre jusqu’aux Etats-Unis, au point que Quantin Tarantino lui a rendu hommage en 2013 : « Même ce nom, Belmondo, ce n’est pas un nom, c’est un verbe ! ». Cependant, les éloges envers notre monstre sacré ne se montraient pas toujours unanimes en France. En effet, la critique française a encensé tardivement celui qu’elle a parfois dénigré, l’attaquant sur son physique, à ses débuts, mais aussi sur ses choix artistiques. Ce sera le festival de Cannes qui rendra hommage à « Bébel » en 2017.
Pour comprendre une telle situation, il faut savoir que, sous couvert de tolérance, tout une partie du monde du spectacle méprise en réalité la polyvalence, qu’elle assimile à de l’amateurisme. Il était ainsi inconcevable qu’un Jean-Paul Belmondo se montre aussi performant dans la comédie populaire, comme dans Le magnifique, grand film de Philippe de Broca, que dans le drame historique et intimiste, comme dans Léon Morin, prêtre, de Melville. Le talent s’avère pourtant indéniable, et le succès, incontestable. Qui niera la capacité de Belmondo à se fondre dans des personnages très différents et des genres hétérogènes qui font de lui un grand, une sorte de Gary Oldman gaulois? Sauf que là où Gary Oldman est respecté voire vénéré par le public comme par l’ensemble de la profession, en France, le statut et l’image de Belmondo ont été parfois examiné avec suspicion.
À cet égard, il faut rappeler que la bonhommie de Belmondo et son optimisme ne l’empêchaient pas d’être sensible à la remise en question. Il avouait lui-même qu’il aurait aimé tourner dans davantage de films « d’auteur » mais que certains retours de la critique avaient douché son enthousiasme. Pourtant, Truffaut disait qu’il ne pouvait tourner qu’avec Jean-Pierre Léaud, Depardieu ou Belmondo dans les rôles masculins principaux. Et même le très intellectuel et pédant Godard a confié deux grands rôles à Belmondo, dans À bout de souffle et dans Pierrot le fou. Ainsi, alors que les réalisateurs les plus en vue et jugés les plus novateurs recherchaient voire requéraient la présence de Belmondo en tant que vedette et que le public l’adulait, la critique faisait la fine bouche, voire le dénigrait. Mais l’histoire a tranché.
Un symbole vivant
Si Belmondo était aussi apprécié, c’était bien parce qu'il était devenu symbole de la France, au même titre que notre célèbre baguette ou notre tour Eiffel. Son sourire, son accent de faubourg parisien, ses allures de baroudeur, tout séduisait chez lui. Plus qu’un acteur, un concentré des aspects les plus aimables et les plus plaisants des Français tels que le monde aime à se le représenter. Le jeu de mot se référant au patronyme de l’acteur est tentant : Belmondo = « beau monde » en italien. Ce beau monde, c’est le visage épanoui d’un Parisien que l’on aurait réchauffé au soleil méditerranéen. Si vous souhaitez une preuve de l’aura de Belmondo, nous vous invitons à regarder les deux OSS 117 de Michel Hazanavicius : la composition magistrale de Jean Dujardin rend un hommage direct à son illustre modèle. Cet OSS 117 à des airs de Professionnel ou de Magnifique.
Alors qu’il aurait pu se « contenter » du registre de soldat/espion/bandit où il excellait, Belmondo cultivait la diversité des rôles. A ce propos, Le Magnifique s’avère emblématique du génie de l’acteur. Ce dernier, aussi à l’aise dans le rôle d’un écrivain de troisième zone vivant dans une quasi misère que dans la peau d’un espion aux muscles parfaits et à la virilité affirmée, fait montre d’une grande aisance sous toutes ses facettes, évoluant dans tous les registres avec un égal bonheur. Aucun surjeu, aucune affectation. Solaire et doué, Belmondo était fait pour la scène.
Il appartient à ces générations d’acteurs venus du théâtre, comme la quasi totalité des acteurs jusqu’aux années 80, comme Philippe Noiret ou Michel Serrault pour ne citer qu'eux. Avec leur disparition prend fin tout un pan de la culture cinématographique, non seulement celle d’un passé mais également celle d’une manière d’aborder l’interprétation d’un personnage. Le théâtre reste en effet la meilleure école pour un acteur : on y apprend à articuler, à se déplacer, à occuper un espace scénique. Ce savoir-faire se retrouve dans le cinéma non seulement français mais mondial. Depuis les années 90, ce profil se fait de plus en plus rare. Une générations d’acteurs venus de la télé s’impose, lesquels en viennent au théâtre sur le tard. Curieux renversement.
Le lion et l’aigle
On sait qu’on a affaire à un grand acteur lorsque, même en ayant vu très peu de ses films, on sait plusieurs choses de lui, on connaît sa manière de jouer à partir de quelques scènes emblématiques. L’acteur s’inscrit ainsi dans un inconscient collectif national et international. A ce propos, on ne saurait évoquer Belmondo sans mentionner son double et ami, Alain Delon. Ce dernier expliquait dans une interview, dans les années 90, à quel point tous deux constituaient des piliers du cinéma français, en se livrant à une rivalité amicale, chacun dans un style différent. Disons-le autrement : là où Delon est un aigle ombrageux, Belmondo est un lion serein. Quand Delon se fait grave ou tragique, Belmondo se montre souriant et badin. Deux égaux, deux pairs au service du Septième art.
On comprend ainsi les applaudissements auxquels Belmondo a eu droit lors de ses funérailles, et les « merci, Bébel » de la foule : un hommage rendu par la France pour un de ses plus beaux fleurons. Car Belmondo incarnait bel et bien un personnage populaire dans tous les sens du terme, celui de la France des bistrots, de la gouaille, de l’art de vivre à la française : une France apaisante et heureuse de vivre, celle des Trente Glorieuses, des congés payés et de 68, celle des dîners de famille et de la comédie décomplexée, bien écrite et bien jouée, sans intentions démonstratives appuyées. Puissions-nous ne jamais l’oublier !
© Olivier Dalmasso - Centre International d’Antibes