Jean-Luc Masbou, Le Baron Editions Delcourt, 2020

Une heureuse surprise pour les bédéphiles : le dessinateur Masbou de la saga De Cape et de Crocs revient avec une adaptation des contes du baron de Münchhausen.
Le nom du personnage mis en scène par Masbou n’est pas un inconnu. Le baron de Münchhausen a véritablement existé. Il s’agit d’un aristocrate allemand ayant vécu au XVIIIème siècle et qui avait un fort penchant pour les histoires rocambolesques. Le baron n’a rien rédigé de sa propre plume mais a rencontré un certain Erich Von Raspe qui a couché par écrit ses récits et affabulations. Münchhausen aurait voyagé sur un boulet de canon, voire jusqu’à la lune, aurait dansé avec Vénus et aurait chevauché une monture pourfendue par un boulet de canon. Il s’agit là des histoires les plus connues du baron fantasque. Cette imagination débridée a eu son pendant en France un siècle plus tôt en la figure de Cyrano de Bergerac. Quant à l’aspect surnaturel des aventures du baron, Italo Calvino s’en inspirera pour son fameux Vicomte pourfendu.
Un panache et un tel amour des aventures farfelues ne pouvait que convenir à Masbou. Ce dernier, dessinateur émérite au style coloré et cartoonesque confère à la figure du baron un parfum de Walt Disney à la française. Dans un style flamboyant à la palette riche et contrastée, Masbou narre la rencontre entre Erich Von Raspe et le baron, telle qu’il se l’imagine. N’hésitant pas à mettre en scène l’épouse du baron, ses domestiques, les villageois du bourg dépendant du fief de l’aristocrate, Masbou intègre les aventures de Münchhausen dans le récit principal. Jonglant, lorsqu’il met en scène les folles équipées du baron, entre les styles graphiques, le dessinateur passe d’une représentation de spectacle de marionnettes à du sépia, puis à du camaïeu, puis imite le style du grand artiste russe Bilibine à l’occasion d’un récit situé en Russie.
L’artiste nous donne ainsi à voir l’étendue de son talent, variant les atmosphères en fonction de la teneur de l’histoire. Jamais à court d’inventivité, le dessinateur incite notre oeil à s’arrêter sur tel détail, tel feuillage de tel arbre, les cornes d’un cerf, la morphologie d’un animal imaginaire, conviant ainsi le lecteur à un véritable festival. Conte de fée, réalisme animalier, ambiance fantastique, Masbou ne s’interdit rien. Les récits ont pour fil directeur les mésaventures « réelles » et prosaïques du baron, en proie d’une part à une femme autoritaire ne comprenant pas son amour des histoires et d’autre part à des nobles étroits d’esprit qu’il se voit obligé de fréquenter. Masbou nous livre une beau portrait de rêveur vaguement anarchiste, attachant et drôle. Difficile ne pas adhérer et ne pas éprouver de sympathie pour cette vision d’un personnage fantaisiste et imaginatif, qui à la plate réalité préfère le rêve.
Les artistes excellent à mettre en scène leur héritage littéraire et historique, pourvu que le goût de la narration et de la représentation graphique l’emporte sur une démonstration quelconque. Ils se montrent alors sous leur meilleur jour , qu’il s’agisse du sulfureux Italien Manara pour son sublime Caravage, de l’Espagnol Guarnido pour Les Indes fourbes, que nous avions chroniqué, ou Masbou pour Le Baron. Nous espérons que cette lecture vous ravira et vous donnera envie de découvrir le grand oeuvre de Masbou que nous évoquions au début de l’article.
© Olivier Dalmasso – Centre International d'Antibes