Le calme et la tempête
La femme est naturellement à l'honneur dans ce numéro de mars 2013 avec Ingrid Astier et son beau et dense polar; Andrée Heuschling et son rôle-clé auprès de Renoir père et fils; Coline Serreau et la demande en mariage d'Isa (Zabou Breitman). Nous avons affaire ici à une autre jeune femme à fort tempérament. La pétillante Olivia Ruiz et son dernier album Le calme et la tempête complète notre hommage à la création culturelle féminine.
Olivia Ruiz a déjà une belle carrière derrière elle; originaire du Sud-Ouest comme Cali, elle a éclos comme lui en 2003. Et, tout comme lui, se caractérise dans la chanson française actuelle par une identité créatrice forte qui est à son image : espiègle, pétillante, effrontée, facétieuse. Olivia Ruiz s’appuie sur cette personnalité haut en couleur pour se mettre en scène et créer des chansons qui souvent revendiquent une connotation autobiographique où le « Je » est omniprésent :
La fille du vent – Album La Femme chocolat, 2005. Vendu à 1 000 000 d’exemplaires
Si j'ai du caractère
Un sacré tempérament
Qui ont valu à ma mère
Du souci et des tourments,
C'est que j'ai dans les artères
Le tanin et les pigments
Qui font le sang de la terre
Comme la lave d'un volcan
La Femme chocolat – Album La Femme chocolat
Pétris-moi les hanches de baisers
Je deviens la femme chocolat !
Laisse fondre mes hanches Nutellasses
Le sang qui coule en moi, c'est du chocolat chaud
Les crêpes aux champignons – Album Miss Météores, 2009. Vendu à 400000 d’exemplaires
Il est parti hier matin
J'ai décidé cette nuit
Que, tout en l'attendant, j'y passerai tout mon temps
Je ferai dans l'aviné
Je ferai dans l'entêtement
Aujourd'hui comme demain
De ma fenêtre je crierai sans fin :
Allez reviens à la maison
J'te f'rai des crêpes aux champignons !
Allez rentre ce soir
Promis je ne touche plus au poignard!
Il a fui depuis 606 matins
606 jours que les voisins
Hurlent de leur fenêtre que je dois la boucler
Olivia Ruiz est une fille du Sud et le dit haut et fort, comme elle revendique sa part hispanique qui lui vient de ses grands-parents1 dont elle a emprunté le nom Ruiz, elle qui en réalité s'appelle Olivia Blanc. Ceci explique également la présence régulière de chansons en espagnol dans ses albums2. Olivia, née à Carcassonne en 1980, a grandi dans une famille où la culture espagnole était omniprésente comme l'était également la musique, puisque son père, Didier Blanc, est un musicien-chanteur bien connu dans sa région. Olivia, quant à elle, va très tôt, dès les années lycée, s'investir dans de nombreux projets musicaux. C'est assez naturellement qu'à l'âge de 21 ans elle va concourir pour le nouveau radio-crochet qui porte le nom de Star Academy et que la télévision met en place en ce début des années 2000. Olivia Ruiz atteindra la demi-finale mais sa personnalité se marie mal avec ce type d'émission au style musical assez formaté. Olivia entreprend alors son propre parcours très personnel. Son espièglerie liée à une voix, qui en français se veut assez enfantine1, et à des paroles comme celles de Je traîne les pieds3 la conduisent, dans la grande famille de la chanson, à faire partie de de ces chanteuses femmes-enfants qui forment une figure féminine constante4 de la chanson française.
Le Calme et la tempête poursuit ce travail initié par Olivia Ruiz, il se positionne dans une continuité conceptuelle5 et l'on retombe, par exemple, sur ce côté piquant de La Fille du vent qui nous est à présent familier à l'écoute de Plus j'aime, plus je pique : Plus j'aime, plus je pique / Pourtant je fais attention /Avec mes épines d'hérisson / Plus j'aime, plus je pique / Je te pousse à l'attaque, sans le vouloir / Ça me tue, mais c'est physiologique.
On retrouve la jeune femme insaisissable, inattendue, effrontée, virevoltante avec le personnage de La voleuse de baisers : Elle vole des baisers / Comme on vole des bonbons / Rien de prémédité / Elle écoute une pulsion / Elle vole de premiers baisers / Comme on dénude des mystères / Leur arôme est pimenté / Les suivants l'indiffèrent / Elle vole des baisers / A des garçons faciles / Ceux qui éberlués / S'en changent en fossiles. Ou celui de Je photographie des gens heureux : Je loue des chambres d’hôtel en étages élevés / J’aime les minois facétieux / Leurs sourires écorchés / Maladroits, paresseux, fragiles ou réprimés / Je photographie des gens heureux / Sur le papier leurs rayons se voient / Je ne trouve rien de plus précieux / Que cette étincelle ornée de soie
Ce dernier opus d'Olivia Ruiz est un bel album avec douze chansons plaisantes où Pop et rock se mêlent parfois. Signalons tout particulièrement celle qui clôt l'album. La LLorona, chanson légendaire du patrimoine mexicain interprétée notamment par la mythique Chavela Vargas fait ici, l'objet d'une version bilingue hispano-française chantée en famille. Olivia chante en espagnol avec son père Didier Blanc tandis que Toan, le frère, slame en français. S'il ne fallait retenir qu'une chanson de cet album, cette pépite, mérite à elle seule que le disque figure dans notre discothèque.
Le Calme et la tempête confirme le plaisir d'Olivia Ruiz pour les scènes insolites et les personnages féminins non conformistes. En cela Olivia Ruiz semble être le pendant, en brune, d'Andrée Heuschling, la jeune femme rousse qui fit un jour, irruption dans le monde des Renoir.
© Alexandre Garcia – Centre International d’Antibes
Ecouter la chanson Volver
Visionner l'interview d'Olivia Ruiz à la Fnac pour son disque Le Calme et la tempête
1. Voici ce qu'Olivia Ruiz répond à Eric Mandel du Le Journal du Dimanche le samedi 02 février 2013 : Vous vous sentez dépositaire de l’histoire de vos grands-parents? "La première fois que j’ai chanté en espagnol, je devais avoir dix ans, et tout à coup ma voix a pris des accents brisés, tragiques. C’était comme un héritage inconscient de la douleur de leur exil. Ma grand-mère a connu le camp d’Argelès, près de Perpignan, où les réfugiés de la guerre civile étaient parqués. Ils avaient fui l’Espagne parce que la tête d’une mes tantes avait été mise à prix, elle faisait partie des Jeunesses républicaines. Du côté de mon autre grand-mère, ils ont fui la misère car le boulot était réservé aux franquistes".
2. Malagueña Salerosa dans le premier album d’Olivia Ruiz J’aime pas l’amour, 2003 – Quijote et La Molinera (en duo avec son père Didier Blanc) dans l’album La Femme chocolat, 2005 – Quedate conmigo abuela (en duo avec Didier Blanc) dans l’album Miss Météores, 2009 - Volver et La LLorona dans ce dernier album.
3. J'traînais les pieds et des casseroles / J'n'aimais pas beaucoup l'école. / J'traînais les pieds, et mes guiboles abîmées / J'explorais mon quartier / J'traînais des pieds dans mon café / Les vieux à la belotte braillaient / Papi, mamie, tonton André et toutes ces pépées /A mes p'tits soins, à m'pouponner.
4. Parmi ses chefs de file citons, quoique dans des registres différents, Françoise Hardy (des débuts), France Gall, Vanessa Paradis ou aujourd'hui la Canadienne Coeur de Pirate.
5. La nouveauté de cet album intervenant dans le fait qu'elle est l'auteur de l'ensemble des paroles des chansons (hormis La LLorona dont la partie en espagnol est un traditionnel mexicain et la partie en Français est de son frère Toan).