Le BAMBI africain

Zarafa, un film d’animation inspiré librement de faits réels, de Rémi Bezançon (Un heureux événement, Ma vie en l’air) et Jean Chrisophe Lie, Palme d’or du court-métrage en 2009 pour l’Homme à la Gordini, et superviseur des effets spéciaux de Kirikou et les bêtes sauvages, retrace le voyage initiatique d’un garçon africain, Maki, ami fidèle d’un girafon orphelin, Zarafa, destiné malheureusement à être offert au roi Charles X par le pacha d’Egypte : Hassan, prince du désert, s’engage à conduire Zarafa, la première girafe destinée au jardin des plantes, à Paris. Sur sa route, il rencontre Maki, échappé d’un rapt par des esclavagistes et décidé à sauver Zarafa au péril de sa vie. Une aventure bouleversante où les thèmes de l’esclavage, de la préservation des espèces animales, sont associés aux thèmes de l’amitié et de la liberté avec lesquels la vertu de l’innocence et le courage qu’elle soulève, révèlent toute une beauté et une poésie humanistes. A voir!
Un griot, vieux conteur africain d’un village, relate sous un baobab géant, l’histoire de Maki et de Zarafa à un groupe d’enfants. Le rythme du film est ainsi posé, offrant par flash-back les étapes de cette aventure, tout en nous ramenant parfois au présent avec ce mystérieux conteur narrant sagement ce conte initiatique.
Le film s’ouvre sur l’évasion de Maki, un garçon africain d'une dizaine d'années, kidnappé avec son amie Soula par un impitoyable esclavagiste armé, escorté d'un chien féroce. Soula refusant de le suivre reste prisonnière. Au cours de cette poursuite terrible où la tension dramatique est bien menée, Maki trouve refuge auprès d’un troupeau de girafes s’abreuvant. Malheureusement, la mère du girafon voulant les protéger de l’esclavagiste menaçant meurt d’un coup de feu. Cette scène n’est pas sans nous rappeler celle de Bambi de Walt Disney. Maki fait alors la promesse à la mère mourante de veiller sur la petite girafe orpheline. Hassan, un prince du désert, engagé à trouver une girafe pour le pacha d’Alexandrie, espérant ainsi par ce présent rare recevoir l’aide de la France pour lutter contre les Turcs, y voit une bonne fortune. Il arrive donc à temps pour libérer Maki et l’orpheline des griffes du tueur. Maki ne le lâchera pas et s’obstinera à le suivre, rivé à sa fidèle promesse. Hassan, touché par le courage du garçon, fait route avec lui. Il baptise donc l’orpheline, Zarafa, qui signifie girafe en arabe. Ainsi naît l’amitié entre Hassan et Maki. Pour nourrir Zarafa, Hassan achète dans une oasis, au marchand Marmoud, deux vaches jumelles tibétaines (Mounh et Souhn) dont la signification des prénoms est à écouter sous le baobab et dont le destin élève vers la paix. Comment quitter Alexandrie assiégée par les Turcs qui menacent les entrées du port ? Heureusement Malaterre, un aéronaute, ami de Hassan, relève le défi et accepte de conduire cette curieuse assemblée à Paris, au jardin des plantes où St Hilaire, le botaniste, les attend. Maki, Zarafa, Hassan, Malaterre, Mounh et Sounh quittent alors Alexandrie en ballon dirigeable. Soula, elle, suit le même itinéraire mais emprisonnée dans une des cales de la flotte française jusqu’à Marseille, un des ports aux esclaves de l’époque. Tout au long du film d’ailleurs son destin et celui de Maki ont des chemins parallèles qui se croisent et se décroisent.
Dès qu’ils quittent la terre, s’élèvent, nous sommes emportés avec eux, saisis par la grâce des images, la poésie des dessins traditionnels et les rencontres étonnantes qui vont forger l’apprentissage de tous ces personnages dont la diversité, tant ethnique qu’animalière, exprime déjà sa dimension interculturelle. Toute la beauté de ce film réside justement dans sa portée initiatique qui préserve ainsi une transmission, propre au conte africain sous le baobab, et surtout propre au conte d’où qu’il vienne. Chaque étape du voyage pose une réflexion et apaise la tension dramatique, tragique parfois, par une révélation sage, ouverte sur les cultures et les différences, affirmant la liberté quand l’oppression menace, insufflant la paix et l’amour quand la haine guette et ravage, veillant à l’harmonie entre l’Homme et la nature. Même les pirates sont du côté des bienveillants et, comme Le petit prince, ils ne voient bien qu’avec le cœur, particulièrement Bouboulina, la capitaine grecque d’un navire pirate qui offrira ses services à Maki et à Hassan. Après une longue et périlleuse traversée, le jour de la remise de Zarafa à Charles X arrive enfin et c’est la déception absolue puisque ce dernier refuse de venir en aide au pacha et que Maki est repris par l’esclavagiste. Hassan désespère dans les cafés parisiens et Malaterre vivote en vendant des tours de ballons. Comment sortir d’un tel drame ? Avec de l’espoir et du courage, dont les forces vives animent tous ces personnages afin de sauvegarder les vertus de la liberté.
Des scènes cocasses où le premier hippopotame éclabousse d'excréments la cour endimanchée et coincée de Charles X. Des moments tendres où Maki tend ses mains gorgées d’eau pour abreuver son amie après s’être pendu à son cou, fougueux et libre. Des instants de grâce quand on découvre le journal de bord de Malaterre animé par une série de dessins traditionnels, réalisé par Julien De Man. Des passages dramatiques denses et fugaces où les esclaves montent sur les navires marchands, où Hassan découvre la désolation des premiers animaux sauvages du jardin des plantes, enfermés dans des cages. Pourtant, une géographie poétique berce ce voyage avec la découverte d’Alexandrie et des hiéroglyphes, des nuits étoilées dans le désert, des vues du ciel sur la Méditerranée et des monts enneigés sur les campagnes françaises, puis au-dessus des toits de Paris et après l’atterrissage, le panorama sur les artères de Paris. Des dessins traditionnels saisissants qui, avec la 2D, dévoilent une lumière et un rythme servis par une narration remarquable ! Nous irons jusque dans le ventre de l’éléphant de la Bastille où Soula et Maki se refugient pour échapper à leur condition d’esclaves. Cet éléphant était destiné à orner la place de la Bastille mais, après la chute de Napoléon, il fut remplacé par la colonne de juillet. Un film éducatif livrant des étapes de l’Histoire en sillonnant une cartographie émouvante tout en initiant aussi à la diversité des cultures : égyptiennes, nomades, africaines, tibétaines, grecques, françaises. Une traversée magnifique de l’Orient vers l’Occident sous les yeux d’un garçon courageux et bienveillant, escorté par des amis fidèles, qui par la force de sa détermination et son espoir relèvera les défis, dépassera les souffrances pour en livrer une sagesse tout comme le vieux griot sous le baobab, entouré par les enfants du village : " Dans le désert, on ne croit pas seulement à ce que l'on voit " - sans doute ce dicton pourrait être traduit en français par "L'habit ne fait pas le moine"-.
Alors si vous voulez goûter encore à cette sagesse et savoir ce qui est arrivé à Soula et Maki, ce qu’est devenue Zarafa dans le jardin des plantes et comment ce vieux conteur a tiré la sagesse de ses histoires, particulièrement celle de Zarafa et Maki, osez monter dans la nacelle vous aussi, pour savourer ce film humaniste d’une rare intensité. N’oubliez pas, en entrant dans cette aventure, les paroles du prince Hassan guidant Maki dans le désert : « Si tu veux trouver ton chemin, regarde vers le ciel »!
Un peu d’histoire et de vocabulaire
Zarafa fut la première girafe amenée en France mais la troisième en Europe; la première fut la girafe Médicis.
La girafe Médicis fut offerte à Laurent de Médicis en 1486 par al-Asharf-Qaitbay, le sultan mamelouk burijte de l' Egypte, afin de se rapprocher diplomatiquement des Médicis. Cette girafe causa sensation lors de son arrivée à Florence car, même si les Médicis possédaient une grande ménagerie et avaient déjà présenté le mannequin géant d'une girafe, c'était le premier exemplaire vivant à être vu dans la ville. Son passage dans les rues de Florence fut immortalisé par les plus grands peintres, dont Francesco Bacchiacca, ainsi que par le poète Antonio Costanzo, qui la décrit en ces termes : « Je l'ai également vu soulever la tête des spectateurs, ceux accoudés aux fenêtres, parce que sa tête atteignait la hauteur de onze pieds ; par le même fait, en la voyant au loin, des personnes pensaient qu'ils regardaient une tour plutôt qu'un animal. Elle semblait aimer la foule, toujours pacifique et sans crainte, elle semblait même observer avec plaisir les personnes qui venaient pour la contempler. »
Un griot est un conteur africain qui est chargé de la transmission des valeurs dans son village. Il désigne, en Afrique occidentale, un communicateur traditionnel. La caste des griots est née puis s'est développée dans un contexte où l'écriture n'était utilisée que dans les milieux religieux. Le griot est ainsi considéré comme étant notamment le dépositaire de la tradition orale. Les familles griotiques sont spécialisées soit en histoire du pays et en généalogie, soit en art oratoire, soit en pratique musicale. Les principaux groupes de griots ou communicateurs traditionnels sont appelés djéli en pays mandingue, guéwël en pays wolof et gawlo chez les Toucouleurs.
Si vous voulez découvrir la suite de cette aventure culturelle et historique, vous trouverez dans nos prochains numéros une fiche pédagogique consacrée à Zarafa qui vous permettra de mieux comprendre certains mots de vocabulaire et de souligner l'aspect socio-culturel, géographique et historique de ce film offrant ainsi une ouverture sur l'aspect civilisation et culture de la France.
©Muriel NAVARRO- Centre International d'Antibes- mars 2012