Littérature
Tous passaient sans effroi de Jean Rolin - Editions P.O.L - Janvier 202526/01/2025
Écrivain et journaliste depuis 1980, Jean Rolin réalise des reportages entre autres pour Libération, Le Figaro, Le Monde ou encore GÉO. Il est aussi l’auteur de récits de voyage, de souvenirs, de romans et de nouvelles. Tous passaient sans effroi, son dernier récit paru en ce début d’année, nous raconte les chemins des hommes qui traversèrent les Pyrénées pour échapper aux nazis. Une manière de leur rendre hommage.
Comme titre de son récit, Jean Rolin emprunte au célèbre poème, Le Cor, d’Alfred de Vigny[1], un vers qui évoque La chanson de Roland [2]et le passage des armées de Charlemagne par les cols pyrénéens… Car il est bien question dans ce livre du franchissement des Pyrénées à partir de Banyuls dans les Pyrénées orientales et de Saint-Girons et autres villes en Ariège.
Le narrateur part sur les chemins montagneux entre la France et l’Espagne [comme l’avaient fait avant lui, durant les années de guerre, des aviateurs alliés, des réfractaires au STO, des résistants ou des juifs, ou encore des personnes appartenant en même temps à plusieurs de ces catégories.] p 9
Ainsi, c’est à Saint-Girons que l’auteur découvre le musée du Chemin de la liberté qui [chaque année, au début du mois de juillet, organise, sur un itinéraire emprunté sous l’Occupation par un grand nombre d’ « évadés de France » une marche commémorative réunissant jusqu’à plusieurs centaines de personnes originaires d’une demi-douzaine de pays.] p.18 C’est donc cette marche que l’auteur va accompagner dans les premières pages de son récit…
Il va exhumer les drames associés à la clandestinité, comme les itinéraires précaires, grâce à Philippe Raichlen -le seul à avoir laissé une relation détaillée de cette « randonnée »- qui [note que « demeurer en arrière, cela revenait à se livrer aux chiens […]. On avait trouvé sur la montagne des cadavres tellement déchirés que nul n’avait pu les identifier. »] p.29 La tragédie de l’exil passe aussi par l’existence de passeurs véreux ou douteux : [D’une façon générale, le récit de Raichlen ne témoigne pas d’une très grande considération pour les guides, dont les premiers, au sortir de Saint-Girons, « se font payer 300 francs par tête et disparaissent », tandis que le dernier, dans l’ultime étape de la marche avant le passage de la frontière, s’égarera à deux reprises dans la montagne.] p.28
Jean Rolin évoque aussi certaines figures troublantes de sa famille : [Avant de faire le bon choix, mon oncle Joseph, dit Jef, avait fait le pire, en s’engageant dans la LVF (Légion des volontaires français contre le bolchevisme) et en partant combattre en Russie sous l’uniforme allemand.] p.32 Son égarement sera de courte durée cependant, poursuit l’auteur, puisqu’ on le retrouvera parmi les évadés de France et dans le même régiment de parachutiste que Philippe Raichlen.
Ou d’autres figures plus héroïques, comme l’aviateur américain Bud Owens [3], malheureusement décédé d’épuisement en 1943 avec deux de ses compatriotes d’évasion durant le franchissement des Pyrénées entre Saint Girons et le village andorran d’El Serrat [où se retrouvèrent les survivants.] p.61. Ils avaient traversé la France pour échapper aux Allemands après que leur avion ait été abattu en Normandie : [Bud Owens aurait exposé sa propre vie pour sauver celle d’un de ses camarades.] p.42
Des destins tragiques aussi, comme le philosophe Walter Benjamin [4] qui, lui, empruntera un autre itinéraire au départ de Banyuls pour passer la frontière et se retrouver à Port-Bou où [apparemment menacé par les autorités espagnoles d’une reconduite en territoire français, (il) se suicidera dans la nuit] p.71 Jean Rollin nous rappelle que [si c’est le chemin de Walter Benjamin,[…] c’est à Lisa Fittko [5] qu’il doit d’exister.] p.76
Nous quittons le chemin de Benjamin et Port-Bou pour suivre celui de Théodore Fraenkel [6] au départ de Pamiers en Ariège pour rejoindre Barcelone via Andorre-la-Vieille. De son récit de cette aventure, Évasion de France (1943), il ressort [que depuis son départ de Pamiers,[…] Fraenkel a été le jouet d’intermédiaires ou de passeurs éloignés de tout héroïsme, mais présentant un degré variable d’incompétence et de rapacité.] p.83 Pour finir victime du [nouveau guide espagnol, un certain Antonio (qui), bien qu’il se présente comme un ancien officier de l’armée républicaine, fait montre soudainement d’un antisémitisme agressif à l’égard de Fraenkel, exigeant de lui une somme extravagante puis l’empêchant physiquement de rester dans le groupe.] p.85
Des célébrités comme Jean-Pierre Grumbach alias Melville [7] ont leur place dans ces drames associés à la clandestinité que Jean Rolin exhume. Pour le futur cinéaste parti de Luchon, les ennuis commenceront à Barcelone, après sa traversée des Pyrénées : [un certain « capitaine Schul », faux Anglais et vrai Belge, qui s’occupe au consulat des passages vers Gibraltar, refuse toute assistance aux Juifs y compris,[…] quand il s’agit de volontaires pour aller combattre.] p.96 Néanmoins, plus d’un an après son départ de Luchon, il atteindra Londres pour rejoindre les Forces Françaises de Libération. À la fin de soin formulaire d’engagement, [le volontaire Grumbach a rajouté « je désire servir sous le nom de Jean-Pierre Melville. »] p.98
Mais aussi des personnages rocambolesques comme le passeur louche, résistant et gangster, accusé d’avoir liquidé Jacques Grumbach, le frère de Melville, blessé lors de sa marche démarrée à Ussat, une petite ville thermale de l’Ariège. Jean Rolin trouvera les détails du procès de cette triste affaire dans les archives de Foix.
Tous ces chemins que l’écrivain aura parcourus sont autant de cicatrices de la tragédie de l’exil, de la persécution et de la guerre. L’écriture de Jean Rolin demeure pourtant ferme et distancée pour relater la petite histoire étroitement liée à la Grande et rendre hommage à tous ces êtres célèbres ou anonymes. Il nous offre dans ce livre une belle leçon d’Histoire .