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Les grandes courtisanes Joëlle Chevé Editions du Rocher, novembre 2023
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Dites-moi, où et en quel pays
Est Flora, la belle Romaine,
Alcibiade et Thaïs

Telle est l’interrogation de François Villon dans sa célèbre Ballade des dames du temps jadis. Nous pouvons au moins répondre à la question suivante : qui sont-elles ? Sûres de leur charmes, souvent instruites voire cultivées, parfois douées pour la musique, la danse ou l’art dramatique, ou tout simplement incroyablement belles et magnétiques, les courtisanes participent d’un demi-monde, entre prostitution pure et simple, séduction et passion. Plusieurs d’entre elles sont passées à la postérité. Nous les retrouvons dans le dernier livre de Joëlle Chevé, Les grandes courtisanes.

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À rebours de la mère -que plusieurs furent pourtant- et de l’épouse au service de leur famille et du foyer, les courtisanes incarnent une indépendance farouche. Elles n’en sont pourtant pas moins ce que leur appellation désigne : des femmes monnayant leur charme. Malgré tout, accédant à un enrichissement et donc à un statut social de plus en plus élevé par les faveurs de leurs riches amants, elles tentent de « retourner le stigmate en emblème », pour reprendre une belle formule de Bourdieu. Mais ne soyons pas dupes : ce retournement n’a que partiellement lieu. Il leur confère, de leur vivant, influence, cadeaux, richesses, biens et propriétés. Mais que leur éclat vienne à pâlir, que leur beauté s’étiole et voilà leurs amants les privant de leurs largesses. C’est le prix à payer d’un statut à la fois choisi et subi.

L’ouvrage de Joëlle Chevé , Les grandes courtisanes, balaie un large spectre allant de l’Antiquité à la Belle Époque, dernier grand moment pour les courtisanes. Aussi, nous vous proposons quelques perles glanées au fil de la lecture, de quoi mettre en lumière la force de caractère, l’indépendance foncière, les caprices et l’égocentrisme de ces personnages hauts en couleurs. Des personnages qui parlent à notre époque chérissant une certaine forme de féminisme, un égocentrisme indéniable ainsi qu’une marginalité largement fantasmée. Place donc à de vraies marginales ayant totalement embrassé ce statut et assumé ses avantages et revers.

On ne saurait parler de courtisanes sans mentionner Aspasie, maîtresse du stratège Périclès. Selon Plutarque, [Elle le consultait en tout, en tout elle le servait utilement] p.35 . Aspasie soutient et conseille Périclès, s’immisçant dans la sphère politique. Ses contemporains seront [choqués par cette intrusion féminine dans les affaires de l’ Etat ][…][et une faiblesse de la part de Périclès] p.39 Si le cas d’Aspasie reste un exception au sein de son époque, elle témoigne du fait que les grands hommes savaient reconnaître le mérite de leurs compagnes, légitimes ou pas.  Toujours dans l’Antiquité, mais tardive, celle de Byzance, on découvre la vie de Théodora. Prostituée puis danseuse et artiste de scène, elle rencontrera et séduira l’empereur Justinien qui l’épousera. Théodora s’illustrera tout particulièrement au moment de la  terrible « révolte des Verts », en 532,  cherchant à renverser l’empereur. Ce dernier, dépassé par l’ampleur de la contestation, envisage de quitter Byzance. D’après l’historien Procope, ce serait Théodora qui, faisant honte à son mari et à sa suite eu égard à cette tentative de fuite, l’incitera à faire face. Justinien et ses fidèles reprennent alors la cité en main au prix d’un effroyable massacre, [le plus terrible carnage qu’ait connu Constantinople] p.69. Le couple impérial triomphe, Théodora jouit ainsi d’un immense prestige et affirme, comme on le disait d’Aspasie, qu’elle « conseille l’empereur en tout. »

Faisons un saut dans le temps. Joëlle Chevé nous entraîne à l’époque classique -le XVIIe siècle- puis à celle des Lumières. Vous avez certainement entendu parler de Marion de Lormes et de Ninon de Lenclos. Cette dernière incarne, plus que toute autre, une liberté jamais aussi ouvertement proclamée avant elle. Ainsi, la voilà écrivant à un amant : [Je crois que je t’aimerais trois mois ; trois mois, c’est l’infini pour moi.] Et l’auteur de commenter :[Quelques mots qui disent tout de Ninon, si singulière dans l’affirmation tranquille de sa liberté sexuelle.] p. 107 Plutôt que de détailler les caprices et foucades de la belle Ninon, car ce serait gâcher votre lecture, nous allons nous arrêter un instant sur la dernière partie de sa vie. [Elle est reçue par des femmes dont elle n’aurait jamais pensé obtenir l’amitié quelques années auparavant ][…][, telle Madame de la Sablière.] p.127 C’est que Ninon est musicienne et joue du luth. Par ailleurs, elle fut une danseuse émérite au temps de sa jeunesse. Le raffinement de son esprit a toujours contribué à son succès. Alors que, vieillissante, elle n’était plus une tentation pour les hommes, les femmes d’esprit lui ouvrent leur salon, lui offrant ainsi une forme de reconnaissance. Le XVIIème siècle, époque de Ninon de Lenclos, montre de ce fait qu’il est, par excellence, le siècle de l’esprit, que l’on soit homme ou femme.

Petite parenthèse littéraire entreprise par l’auteure elle-même. Joëlle Chevé consacre de belles pages à la Nana d’Émile Zola, courtisane de son invention, qui donnera le tournis aux puissants du Second Empire. Cependant, on note un égarement dans l’analyse. Que cette courtisane fictive incarne aux yeux de son auteur la corruption du Second Empire, rien de moins contestable -on le sait depuis longtemps. En revanche, affirmer que la déchéance physique de Nana, détaillée à la fin du roman, traduirait une misogynie évidente , je cite : [le véritable adversaire du romancier est tout simplement la Femme] p.329, c’est aller un peu vite en besogne. De tels propos révèlent une adhésion trop naïve à l’air du temps, celui de notre époque, toujours avide de débusquer des phobies. Mais surtout, il ne faut pas oublier que Zola est habité par la mythologie grecque, aussi plusieurs de ses personnages revêtent-ils une dimension titanesque, tout en puissance évocatrice. Zola est un artiste et s’exprime comme le ferait un peintre ou un musicien, et ce en dépit de ses désirs de « littérature scientifique ». En définitive, la cible de Zola demeure le Second Empire, le reste relève du fantasme.

Mais ce sont sans doute les courtisanes de la Belle Époque qui retiendront l’attention car leur souvenir est encore vivace dans la mémoire du public cultivé : la redoutable Lola Montès, la belle Otero ou encore Cora Pearl. Elle se battent à coups de cravache contre rivales ou amants indélicats, ruinent des hommes fortunés et rendent des princes fous d’amour. Ainsi le roi Louis Ier de Bavière : [ Louis s’est fait l’esclave de Lola, pris au piège par sa beauté.] p.209. Lola se montre audacieuse. Elle veut faire plus qu’influencer le roi car elle « adhère à des réformes libérales ». Ainsi, elle [ s’en prend violemment aux jésuites, intimant à Louis de Bavière de les chasser du pouvoir .] p.212 Mal lui en prend car l’Église est puissante en Bavière. Le roi doit alors bien malgré lui exiler Lola. On sait la belle  coutumière de ces ascensions fulgurantes et de ces chutes brutales, à croire qu’elle cherche à se saboter. Bref, un caractère singulier que cette courtisane qui détruit à chaque fois ce qu’elle parvient à construire, à l’image d’un Benvenuto Cellini, artiste à la turbulent. Malgré tout, le roi finira par épouser Lola, bien plus tard, après la décès de sa femme.

En espérant que ces échantillons vous donnent envie de découvrir le livre de Joëlle Chevé, livre que vous lirez comme on regarde une série, nous vous laissons sur la déclaration d’Émilienne d’Alençon, la dernière courtisane de l’essai : [La beauté est un métier.] p.384


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