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Franquin, un grand de la bande dessinée
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À l’occasion de la publication du nouveau tome de Gaston Lagaffe, scénarisé et dessiné par Delaf, nous vous proposons de revenir sur le personnage et sur son créateur, un dessinateur exceptionnel qui a marqué de son empreinte le 9ème art.

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André Franquin est né en 1924. Il se lance très tôt dans le dessin et l’animation. Mais le studio fera faillite suite au succès des dessins animés américains au lendemain de la guerre. Franquin sera embauché au journal Spirou. Il reprend Spirou, le personnage de Jijé, car ce dernier souhaite déléguer cette tâche. Si Franquin au début adopte le style de son prédécesseur, il s’en affranchit et impose sa patte, au point d’instaurer un nouveau canon graphique toujours en vigueur aujourd’hui. Plus encore : il étoffe le monde un peu sommaire de Spirou. C’est lui qui donne vie à l’excentrique compte de Champignac et au mégalomane Zorglub. Franquin invente même le marsupilami, étrange animal fort et habile, et dont la longue queue peut lui servir de ressort, de poing comme de membre préhensile.

 

Un fainéant inventif 


  C’est en 1957 qu’apparaît pour la première fois Gaston Lagaffe. Nul ne sait d’où il vient ni qui l’a embauché. Ses réponses restent des plus évasives : « On m’a dit de venir. Quelqu’un… » le personnage est inventé par Franquin et en partie par Yvan Delporte pour apporter une touche d’humour décalé au journal Spirou. Très vite, les lecteurs apprécient l’arrivée de ce héros lunaire, rêveur et gentiment rebelle, refusant de faire ce pour quoi il est payé, à savoir un travail de bureau. À une époque où il est encore fréquent pour les hommes de porter le costume dans la rue, Gaston se distingue par son relâchement : jean, vieux pull vert, espadrilles, chevelure en bataille. Aujourd’hui, on qualifierait simplement son look de « décontracté » Apparaît ainsi la première dimension politique du héros : c'est un doux anarchiste qui s’inscrit en faux contre les conventions vestimentaires ou les obligations professionnelles. Quoi qu’on en pense, on ne peut que s’attacher à Gaston. Souvent farceur mais toujours bienveillant, d’une innocence presque enfantine, il pense avant tout à esquiver le travail et à s’amuser. Franquin expliquait ce qu’il avait mis de lui-même dans le personnage en rappelant, lors d’une interview filmée peu de temps avant sa mort, que, normalement, les adultes cessent de jouer là où lui continuait de le faire. Constatation qui n’a rien de surprenant : le grand dessinateur Jean Giraud, alias Moebius, ne disait pas le contraire. On rétorquera que tous les bédéistes ne vivent cependant pas leur métier sur le même modèle. Malgré tout, il faut bien avoir conservé une part d’enfance pour puiser dans l’imaginaire au quotidien et passer son temps à créer de la bande dessinée.


  Quant à Gaston, il incarne un paradoxe : ce paresseux déploie une énergie inépuisable à la création d’inventions farfelues. Il se révèle en effet un bricoleur plein de ressources malgré l’insuccès de la plupart de ses créations diverses. La plus redoutable de toutes est le gaffophone, sorte de harpe d’inspiration vaguement africaine, qui combine instrument à corde et à vent. La moindre mélodie issue de cet hybride fait s’effondrer le plafond quand elle ne pulvérise pas toutes les vitres du quartier. La moindre apparition de l’infernal instrument provoque ainsi la panique chez les collègues de Lagaffe pour le plus grand plaisir des lecteurs qui guettent chaque apparition du gaffophone.


Un rebelle idéaliste


  La résistance de Gaston aux contraintes du travail, son désir d’évasion par l’imaginaire parle à notre côté frondeur et rêveur. Il sollicite une facette qui dort en nous et permet ainsi au lecteur d’attiser une touche de fantaisie et de révolte dont on aimerait faire preuve sans oser toujours en prendre le risque. On n’ira certes pas jusqu’à faire de Franquin un militant mais, dans les derniers albums, Gaston se fait tout de même l’interprète de propos et de scènes antimilitaristes, et même écologistes : plusieurs gags mettent en scène ses « talents » mis à profit pour la sauvegarde des baleines, par exemple. Dans le dernier album, La saga des gaffes, Gaston devient même porte-parole de l’UNICEF, signe indéniable de la sensibilité de Franquin aux questions de la misère mondiale et de la protection de l’enfance.

 

Une rédaction imaginaire plus vraie que nature


  Franquin n’a jamais, de sa vie, travaillé dans les locaux des éditions Dupuis qu’il met en scène en permanence. Il a malgré tout saisi à la perfection les tics, les manies, les expressions des employés de bureau. Le chef de service, le comptable en costume, le dessinateur, les secrétaires, tous les personnages sont bien campés, tout sonne juste, bref, « on s’y croirait. » Mais après tout, n’est-ce pas la signature des grands artistes ? Tolkien, l’auteur du Seigneur des anneaux n’a quasiment jamais voyagé à l’exception d’un petit périple dans les Alpes suisses pendant sa jeunesse, Kant était également un grand sédentaire, Bach n’a quasiment jamais quitté sa ville natale. Pourtant jugez de ce qu’ils ont produit et de l’ampleur de leur œuvre ! Pour revenir aux éditions Dupuis vues par Franquin, on notera qu’il s’agit d’un décor, celui des aventures de Gaston. Sous l’influence de inventions du bricoleur, les bureaux deviennent aquarium, jungle, cuisine expérimentale, salle de jeux vidéo, piste de courses de chaises. Inlassablement, Gaston crée, transforme, adapte. Son poisson rouge déprime dans son bocal ? Il crée un aquarium qui, sous forme de tubes de verres, traverse toute la rédaction. Son chat demande trop fréquemment à ce qu’on ouvre les portes ? Aucun problème, il installe des chatières partout. Et si la mouette rieuse, jalouse de ce dispositif créé pour le confort du chat, proteste, Gaston scie tout simplement la partie supérieure des portes de tous les bureaux. Ainsi, la faune de Gaston peut circuler en tout liberté. Et ça ne s’arrête pas là ! Quand Prunelle, le supérieur hiérarchique, exige que Gaston classe les archives, le héros en espadrilles transforme la salle des archives en labyrinthe. Les autres employés veulent alors tester la toute nouvelle attraction, au grand dam de Prunelle qui enrage comme à son habitude.




 

Les idées noires 


  On ne saurait parler de Franquin sans évoquer Les idées noires. Nées d’une fantaisie graphique de l’auteur qui prenait plaisir à griffonner des monstres aux traits grotesques et comiques sur des coins de tables, cette œuvre va se faire l’écho des ruminations pessimistes de Franquin et de ses convictions affichées quasiment « sans filtre » comme on dit aujourd’hui. Sans surprise, les dessins de Franquin et ses histoires sanglantes condamnent les militaires, les grands patrons, les toreros et les chasseurs. Cette posture, bien que sincère, n’est pas propre à Franquin et se retrouve chez de très nombreux autres auteurs du 9ème art, jusqu’à nos jours, où elle reste des plus répandues. Sur le plan graphique, Franquin trouve un exutoire à ses hantises et ses révoltes. Fidèle à sa formule, il nous propose une histoire voire deux par planche. On retrouve le souci de l’écologie et la peur de la dégradation irrémédiable de l’environnement, qui traversent l’œuvre. Et cette fois la représentation de la violence et de la mort sont directes et explicites : décapitations, mutilations, empalements, explosions. Tout un monde empreint de violence se déploie : celui d’une bétonisation sauvage, d’abord, dévorant arbres, placettes et villages. Celui d’une faune réelle, ensuite : mouettes, loups, animaux sauvages hostiles. Enfin et surtout celui de la société : peine capitale, militarisme exacerbé, marée noire, fin du monde. Un ton fort différent de celui de Gaston Lagaffe, et qui trouverait sa place dans le magazine Fluide glacial, voire Charlie Hebdo. Tout cela est porteur de sens car c’est le même tempérament et le même auteur qui s’expriment mais de façon plus directe et grimaçante. En fait, tout ce qui engendre l’attachement à la figure de Gaston se retrouve dans Les idées noires mais dans une interprétation inversée, désespérée. Les idées noires, c’est le monde où tous les Gaston de la Terre ont été vaincus, avalés par la société, effacés par la brutalité cynique d’un technologisme sans limite et d’un capitalisme débridé.


Un trait cinétique 


  Ce qui frappe chez Franquin, dès que l’on commence à observer son travail, c’est l’incroyable fluidité et le dynamisme de son trait. Alors qu’au début de sa carrière, Franquin se situait dans ce qu’on appelle « la ligne claire » -le style d’Hergé, créateur de Tintin- son dessin va évoluer assez rapidement. C’est bien simple, tout se trouve mis en mouvement constant.  À rebours d’un Philippe Druillet, tout en angles et en monumentalité, Franquin dessine en courbes. À telle enseigne que, si un personnage veut se mouvoir discrètement, Franquin courbe les pieds eux-mêmes, conférant à l’ensemble la touche « cartoon » si reconnaissable. L’artiste développe un talent de quasi caricaturiste, exagérant le trait afin de souligner l’expressivité, mais s’arrêtant à la frontière d’un réalisme rendant les personnages aussi crédibles qu’organiques, comme physiquement présents.  Sans compter les nombreux détails qui parsèment ses planches : réaction d’un passant au deuxième plan, pièces de la voiture de Gaston tombant à terre quand il freine, traces d’usure sur les murs… Un des exemples les plus fragrants est la voiture de Gaston Lagaffe, une vieille guimbarde bonne pour la casse. Franquin humanise l’auto de son héros en jouant sur le graphisme et la position des phares de la voiture : ils ressemblent à des yeux et en adoptent même parfois la mobilité. La voiture de Gaston ressemble à une personne trop âgée et épuisée. C’est même une des plaisanteries les plus communes chez les collègues de Gaston de se moquer de l’état du véhicule. Fantasio puis Prunelle, les deux « supérieurs hiérarchiques » de Gaston ne sont pas les derniers à rire même s’ils se retrouvent toujours dans le véhicule de Lagaffe, de gré ou de force. Ce dernier parvient en effet souvent à les convaincre de tester une « amélioration » de son auto : propulsion par poêle intégré, ventilateur/propulseur…Inutile de préciser que l’essai se transforme immanquablement en catastrophe. Ces épisodes sont l’occasion pour Franquin de démontrer sa virtuosité : toit de la voiture arraché par le ventilateur intégré, personnage expulsé de l’habitacle, tuyaux, vis, roues partant dans tous les sens, yeux étonnés d’une vache au second plan. Un regard un tant soit peu attentif révèle ce foisonnement de détails qui font le régal du lecteur.


  On comprend dès lors qu’il soit difficile pour Delaf de succéder à un être aussi talentueux que Franquin. Et on devine par ailleurs ce qui a poussé les éditions Dupuis à relancer ce que les studios de cinéma appellent « une franchise. »  Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons que vous inviter à découvrir l’œuvre de Franquin. Plongez-vous dans les loufoqueries et les inventions de Gaston Lagaffe. Vous y passerez toujours de bons moments. Et vous y reviendrez plus d’une fois.


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