Edito
Deux fois plus de Français ont demandé la nationalité belge, ma (grosse) fatigue informationnelle01/10/2023
Depuis un certain temps, je fais partie des 53% de Français qui disent souffrir de la surabondance d’informations. C’est ce que m’avait appris en août 2022, la remarquable enquête dirigée par Guénaële Gault et David Médioni pour Arte et la Fondation Jean Jaurès (1). Un an plus tard, à l’automne 2023, je ressens encore davantage le besoin de me soustraire à l’atmosphère toxique créée par un flux ininterrompu d’informations à sens unique.
On ne s’intéresse qu’aux trains qui n’arrivent pas à l’heure
Il y a encore quelques années, je me surexposais volontairement à l’information. Je fais partie des 59% de Français qui pensent qu’il est important de se tenir informés grâce aux médias. Dès le début de la journée, j’avalais donc les informations de l’épatante tranche matinale de France Inter, je parcourais plus tard, les pages du Monde et de Nice Matin et je ne manquais pas le journal de 20h00 de France 2. Quant à France Info, la station de radio m’accompagnait régulièrement en voiture. J’ai été abreuvé jusqu’à plus soif de nouvelles sombres, maussades ou alarmantes par ces médias, sérieux au demeurant, mais dont l’adage les trains qui arrivent à l’heure n’intéressent personne sert trop souvent de politique éditoriale.
Au fil des années, et des milliers d’heures consacrées à l’actualité sous tous les formats : journaux, flashes d’information, enquêtes, émissions, bulletins et billets, j’ai ainsi, traversé les années de morosité, voire de sinistrose qui avait envahi la France dans les années 1990. J’ai mesuré le degré d’autodénigrement dont se complaisent les médias français, depuis si longtemps et qui fut relayé dans les années 2000 le "french bashing" venant de l’étranger. J’étais aux premières loges pour comprendre d’où provenait ce fameux pessimisme français2. D’autant plus près que de nouvelles chaînes exclusivement dédiées à l’information s’implantaient dans le panorama audiovisuel français. Il fallait à présent, compter sur les "Chaînes d’infos en continu" se nourrissant elles aussi des misères du monde et de la France en particulier.
2012, l’année où deux fois plus de Français demandèrent la nationalité Belge
Je me souviens de l’automne 2012 et de l’affaire Depardieu. L’acteur disparu un beau jour, fuyant la sévérité du fisc français à l’égard des grandes fortunes comme lui. Les médias lancés sur ses traces le retrouvèrent quelques temps plus tard en Belgique. Le journal Le Parisien dans son édition du 9 décembre 2012, nous révélait que Gérard Depardieu, comme pour narguer les autorités françaises, venait d’élire domicile à moins d’un kilomètre de la frontière française, à Néchin sur la commune d’Estampuis. L’achat d’une villa s’accompagna de la demande de nationalité belge. Quelques semaines plus tard, le feuilleton Depardieu qui avait tenu en haleine les Français (sans doute) et les médias (assurément), rebondit de plus belle le 3 janvier 2013 : "Gégé" venait d’obtenir… la nationalité Russe des mains de Poutine comme il se plaisait à nous le démontrer en exhibant son nouveau passeport made in Moscou.
Inutile de revenir sur la surabondance de débats à propos de "l’état de la France qui avait contraint l’un de ses plus illustres citoyens à la quitter pour d’autres contrées plus amènes". Les déclinologues de tous poils s’en donnaient à cœur joie d’autant qu’en juin 2012, quelques mois avant que ce feuilleton ne monopolise l’attention, le premier ministre britannique, David Cameron avait « déroulé le tapis rouge » aux entreprises françaises, les encourageant à traverser la Manche pour échapper aux hausses d’impôts prévues au programme du nouveau président François Hollande tout juste arrivé à l’Elysée.
Les débats battaient leur plein et la trêve des confiseurs fut de courte durée puisqu’au journal de 20h00, le 3 janvier 2013, le présentateur vedette, David Pujadas annonça parmi les titres qu’il allait développer, un scoop aussi inattendu qu’effrayant : En 2012, deux fois plus de Français avaient demandé la nationalité Belge ! La Belgique non contente de nous avoir pris « Gégé » avait donc dû séduire bon nombre de nos (riches) concitoyens qui avaient, tout comme lui, franchi la frontière fuyant un Hexagone inhospitalier. Cette information en ce tout début d’année, juste après les vœux du nouveau président de la République sonnait le glas de la prospérité française, ses forces vives quittaient une France livrée à l’appétit d’un fisc insatiable… David Pujadas allait nous livrer l’ampleur de la catastrophe. Ils étaient combien ces déserteurs ? Deux fois, plus venait-il de préciser. Je hasardais un pronostic à la hauteur de la nouvelle retentissante qui faisait la une d’un des premiers journaux de la nouvelle année… Disons, 15 000 ? Alors que pour l’année 2011 il y aurait eu 7 500 demandes de nationalité belge ? Pujadas arriva enfin à son scoop. Il interrogea un collègue journaliste qui, debout sur le plateau, s’approcha d’un écran où les données qu’il allait commenter commencèrent à s’afficher : Oui, dit-il nous sommes passés de 63 Français qui en 2011 ont demandé la nationalité belge à 126 en 2012.
Cette information oh combien importante - rappelons que nous étions 65 millions en 2012 - fut reprise par l’ensemble des médias3 français.
Un appétit insatiable pour les nouvelles déprimantes caractérise la gestion de l’actualité.
Il est indispensable que les nouvelles même les plus difficiles à entendre soient traitées. Cela fait partie du droit à l’information, l’un des droits fondamentaux, pilier de nos libertés. Il est hors de question de mettre en cause ce travail d’information grâce auquel, aujourd’hui journalistes et médias contribuent à faire la démocratie. Cependant un côté moins estimable semble pervertir cette belle mission. Trop d’information tue l’information. La surabondance, le déferlement de nouvelles rebutent aujourd’hui une majorité de Français qui estiment souffrir de leur surexposition informationnelle. Sans doute ajouteraient-ils « surexposition aux informations négatives, sombres, qui créent de l’anxiété ». A l’image de l’exemple vécu plus haut, on reproche aux médias de contribuer à immerger la population dans un climat social déprimant, et d’encourager l’autoflagellation si chère aux Français. Outre les chaînes généralistes et leurs journaux télévisés, nous comptons désormais, quatre chaînes de télévision focalisées uniquement sur l'actualité, ce qui fait de la France une exception en la matière. Elles se livrent une bataille pour l’audience en triturant les informations de la plus anodine à la plus grave. Or, depuis la décennie 2010 nous aurons été servis en matière d’informations graves. Série de crimes ignobles des terroristes islamistes en France et à l’étranger, la barbarie de Daesh en Syrie et en Irak, l’apparition soudaine d’une pandémie meurtrière, l’épouvantable guerre sur le sol de l’Ukraine depuis février 2022 …
Le déferlement d’événements dramatiques ne nous aura laissé aucun répit. Or, de plus en plus de Français veulent arrêter de subir ces vagues successives d’informations, toutes plus anxiogènes les unes que les autres. Ces vrais ou faux événements à l'image des Français devenus Belges, sont trop souvent mal-traités, puisque trop martelés, ou exploités de façon à créer des polémiques qui feront le buzz, avant de les voir disparaître, éclipsés par de nouvelles actualités. Nous laissant alors, la plupart du temps, dans un état de désarroi face à notre impuissance. Je fais partie de ces Français.
Il m’arrive de comparer l’exposition à l’actualité à l’exposition au soleil4. De même que je ne dispose plus de capital soleil, j’ai épuisé mon « capital information ». En revanche j’ai toujours envie de m’informer. Mon ouverture au monde est toujours intacte mais je refuse de recevoir en boucle certaines images et informations rabâchées par tous les médias. J’ai appris moi aussi à prendre du recul et à me préserver.
J’aimerais qu’à côté des nouvelles graves qui font notre monde, et dont nous devons être informés, les médias s’intéressent à tous ces trains qui arrivent tout de même à l’heure. Grâce souvent à des exploits réalisés par des Français de l’ombre. Des anonymes qui n’étaient pas programmés pour connaître le succès sont à l’origine de belles et émouvantes réussites. Traiter de belles histoires exemplaires, permettrait de voir la France autrement, de concilier les gens, d’abattre les préjugés, et soyons optimistes, de combattre l’archipelisation de la société française5 car des histoires vraies, positives, comme celles racontées par Olivier Nakache et Eric Toledano6 existent bel et bien. Elles font partie, de ces trains dont personne ne parle dans les médias.